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fasses cadeau d’un très beau tableau avec un cadre sculpté, doré et tout. Fais-moi une drôlerie, sais-tu ? Ce qui te plaira, mais non une figure de femme, prends garde. Ne t’y frotte pas, sais-tu ? — Vous serez servi, monsieur Jean, lui dit Petit François. — Petit François entre dans un atelier, se met à travailler et commence. Le tableau fut fait, mis sous verre, doré et tout ; et il fit une très belle peinture d’une très belle figure de Vénus. On sait fort bien que les peintres ! .. Que fait Petit François ? Il arrange bien son tableau, et à l’heure du repos, il vous le porte dans la chambre de monsieur Jean et vous le met près du miroir. Le matin, monsieur Jean se lève et va dans sa chambre, devant son miroir, pour faire sa toilette. Tout à coup : Ohimé ! dit-il, qu’est-ce que cela ? et il reste stupéfait. Petit François ! Petit François ! — Plaît-il, monsieur Jean ? — Viens çà, devant moi : qu’est-ce que je t’ai dit ? Qu’une figure de femme, je ne la voulais pas. — Que voulez-vous, monsieur Jean, pardonnez-moi et plaignez-moi : les peintres sont folâtres. Quand il leur passe une chose par la tête, ils sont forcés de la faire. Ceci m’est passé par la tête et j’ai fait ceci. — Éloignez-vous de moi.

A l’heure du déjeuner, Petit François n’était plus appelé, à l’heure du dîner, il n’était plus appelé. Mais tout ce dont il avait besoin lui était porté dans son atelier. — Même ainsi l’on va son chemin, même ainsi je mange. Il ne m’importe pas de manger avec monsieur Jean. Tout ce qu’il mange vient ici : on mange partout, dit Petit François. — Au bout de quelque temps, monsieur Jean l’appelle : — Petit François ! — Que commandez-vous, monsieur Jean ? — Tu dois prendre ce petit tableau que tu as fait ; tu dois le mettre dans la poche de ton habit et t’en aller au bord de la mer de Constantinople et faire démarrer mon bâtiment. Tant à pied que dans le bâtiment, tu dois courir le monde entier et me promettre de m’apporter un portrait comme tu l’as fait (une femme qui ressemble exactement à la figure que tu as peinte. Je te donne une année pour cela.

Petit François va au bord de la mer, détache le navire, entre dedans, ouvre les voiles au vent. Adieu, pour aller courir le monde. Vire d’ici, vire de là, vire d’en haut, vire d’en bas, et vire de partout, Petit François ne trouvait jamais un visage semblable à celui qu’il avait fait. En route, et toujours en route sur le navire du seigneur Jean. On jour, il voit de loin des flammes sur une île : on eût cru que des choses avaient pris feu. — Abordons ici, dit-il au pilote ; arrivons là-bas à cette île, nous pourrons nous y rafraîchir. — En montant sur l’île, au sortir du bâtiment, François avise une fillette. Il va vers son compagnon : — Regarde, sais-tu ? si elle était à point, ce serait tout à fait le portrait. Mais laisse-moi faire. Elle vient d’entrer dans cette boutique de charcutier. Attendons qu’elle