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Dans un temps où les grandes unités nationales n’étaient pas encore solidement fondées, où les familles princières étaient des centres de cristallisation nécessaires, si l’on me permet le mot, où les limites des états n’étaient fixées ni par la race, ni par la langue, mais par le droit héréditaire, et où la conquête et la force seules pouvaient corriger les excès et les égaremens de ce droit, il n’était guère possible que la France échappât plutôt que d’autres nations à l’empire de l’axiome : Cujus religio ejus princeps. L’émoi de la France catholique n’eut rien que de légitime dès qu’elle put craindre que le vieux droit héréditaire ne mît la couronne sur la tête d’un Bourbon huguenot. Toutes les consciences furent comme déchirées : il sembla aux catholiques insupportable de voir l’hérésie sur le trône de saint Louis. En même temps il parut aux uns trop dangereux, aux autres impossible de toucher à la loi tutélaire de l’hérédité monarchique. Il devint nécessaire d’examiner si la religion pouvait devenir une sorte d’incapacité pour le souverain.

La ligue n’eut point de force, tant que les catholiques comptèrent sur le roi. L’orateur du clergé aux états de Blois, Pierre d’Épinac, archevêque de Lyon, que Henri III considérait comme « l’intellect agent de la ligue » (Journal de l’Estoile), est un royaliste ardent. « Souvienne-vous, sire, dit-il au roi, que vous portez en main le sceptre du grand roi Clovis, qui premier régla cette monarchie sous la profession publique de cette religion, laquelle est maintenant remise en doute dans ce royaume… Souvienne-vous que vous portez sur la tête la couronne de ce Charles, qui pour la grandeur et la valeur de ses faits a mérité le surnom de Grand, et par la vertu de ses armes avança la religion chrétienne et défendit l’autorité du saint-siège apostolique… Souvienne-vous que vous tenez la place de ce célèbre Philippe-Auguste qui avec tant de zèle et d’affection, employa ses armes contre les albigeois hérétiques… Souvienne-vous que vous séez au siège de ce tant renommé saint Louis, lequel n’épargna ses moyens, ses forces et sa propre personne pour la défense et propagation de la foi de Jésus-Christ. » Mais le prélat rappelle aussi au roi le serment de son sacre « de maintenir la religion catholique et de l’avancer selon son pouvoir, sans en tolérer aucune autre. »

Le roi lui-même se déclara, à Blois, le chef de la ligue, quand déjà la ligue s’armait et s’organisait partout contre la royauté légitime. « Si Henri de Navarre était appelé au trône par sa naissance, dit M. de Meaux, ne méritait-il pas d’en être exclu pour sa religion ? » Un protestant pouvait-il être roi de France ? La France devait-elle se soumettre à un prince hérétique ? Voilà la redoutable et capitale question qui mit les armes aux mains des ligueurs. Pour les prendre, soit prévoyance politique, soit impatience instinctive des partis prêts