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domination temporelle. Mais la France n’a jamais eu de religion établie, et Henri IV pouvait, ce nous semble, sans outrager le droit français, tenter de monter sur le trône en conservant sa foi.

Il le tenta, il ne s’amusa pas à de vaines discussions, il n’eut pas le moindre doute sur son droit ; il n’en céda jamais une parcelle, il se sentit toujours roi, parla et agit toujours en maître. Henri IV ne renonça jamais à la couronne, mais il finit par renoncer à sa religion ; il finit par se convaincre lui-même que la France ne pouvait avoir un roi protestant. M. de Meaux traite fort longuement cette question de l’abjuration d’Henri IV, qui nous émeut encore aujourd’hui presque autant qu’elle a ému nos pères. Henri IV fut un si grand homme et il a tenu une telle place dans notre histoire qu’il semble qu’il soit encore parmi nous ; jamais les protestans ne se consoleront d’un changement de religion d’où leur esprit chagrin fait volontiers découler une suite de conséquences funestes. Il semblerait, à les entendre, qu’en passant du côté catholique Henri IV soit devenu indirectement responsable de l’établissement d’une monarchie absolue, privée de tout frein, de l’irrémédiable décadence de cette monarchie, de la révolution française et de tout ce qui l’a suivie. Ils voient dans l’abandon de la cause protestante la cause première de cette déviation de notre politique nationale qui, en abaissant trop longtemps la France devant l’Espagne, a rendu si laborieuse et si précaire la conquête de nos frontières. Il est clair, il est patent que l’abjuration d’Henri IV est un de ces grands tournans de l’histoire qui ferment un horizon et qui ouvrent un horizon nouveau. Qui, parmi les protestans, put conserver l’espoir de voir monter la réforme sur le trône de France, quand le Béarnais, le héros de tant de combats et de batailles, le vainqueur de la ligue renonçait lui-même à cet espoir ? Pour les huguenots sincères, dans la conscience desquels la foi monarchique n’était que la doublure de la foi religieuse, le coup dut être rude ; les plus clairvoyans comprirent que toutes leurs victoires étaient vaines, que la tolérance royale ne serait que la tente d’un jour, et que les luttes qu’on disait finies devaient fatalement recommencer.

On peut poser deux questions au sujet de l’abjuration d’Henri IV : fut-elle nécessaire ? fut-elle sincère ? M. de Meaux se donne beaucoup de peine pour démontrer qu’elle fut complètement sincère, que cette abjuration fut une véritable conversion. Nous avouons que la première question nous intéresse plus que la seconde. Si Henri IV crut nécessaire son retour à la religion catholique pour rendre la paix à son royaume, s’il pensa ne pouvoir vaincre autrement des résistances fanatiques, si son âme humaine et généreuse recula devant la pacification par l’extermination, telle qu’elle était alors pratiquée dans quelques parties de l’Europe, s’il