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dévoûment, mais irascibles et implacables dans la vengeance. Les chasseurs de phoques réussissaient à soumettre les indigènes en inspirant la terreur de leurs armes, et les insulaires, profitant de toute occasion favorable pour venger les injures, massacraient sans pitié de tels ennemis, qu’ils se hâtaient ensuite de dévorer. Les simples matelots n’étaient pas seuls à commettre des actes dignes de toute réprobation ; des capitaines de navire ont aussi mérité d’être flétris. L’histoire que rapporte le commandant d’une expédition autour du monde, Turnbull, est inqualifiable[1]. Un des principaux chefs de la baie des Iles, Tepahi, ayant conçu la pensée de voir de près la civilisation européenne et de connaître les hommes qui possédaient d’immenses ressources pour la guerre comme pour le travail, manifesta le désir de visiter la colonie anglaise de Port-Jackson. Le capitaine Stewart se chargea de le transporter en compagnie de cinq de ses fils. A Port-Jackson, Tepahi présenté au gouverneur, logé dans son palais, comblé de prévenances, excita l’intérêt non moins que la curiosité. C’était un homme de haute stature, aux formes athlétiques, au maintien digne, à la physionomie expressive, malgré le tatouage. L’insulaire se préoccupait d’une façon intelligente de l’agriculture et de certaines industries ; il eût voulu s’attacher des ouvriers, afin de répandre en son pays les arts les plus utiles. Lorsque le gouverneur lui eut assuré le passage sur un navire pour retourner dans sa patrie, s’il n’emmenait personne, il emportait du moins une foule d’objets dont il pouvait aisément tirer bon parti. Pendant la traversée, Tepahi tomba malade ; un jeune homme, du nom de George Bruce, fut chargé de le veiller. Le Néo-Zélandais et l’Européen se lièrent d’amitié. On allait débarquer ; le grand chef de la baie des Iles obtint que le jeune Anglais l’accompagnât pour demeurer à la Nouvelle-Zélande sous son propre toit. George Bruce épousa la plus jeune et la plus gracieuse des filles de Tepahi et, tatoué dans le meilleur goût, il fut élevé au rang des guerriers. Protecteur naturel de ses compatriotes, il rendait tous les services imaginables aux commandans et aux équipages des vaisseaux qui mouillaient à la baie des Iles. Un jour Bruce, en compagnie de sa femme, se trouvait à quelques milles de sa résidence ; par aventure, un navire anglais vint jeter l’ancre près de la côte. Le capitaine Dalrymple, en quête d’un chargement de bois et d’autres produits de l’île, reçut de la part de son ancien compatriote une assistance efficace et toute désintéressée. S’imaginant, d’après de vagues assertions, que la poudre d’or abonde au cap Nord, situé à la distance d’une trentaine de lieues, Dalrymple pense que Bruce pourra le servir dans la recherche du précieux métal ; il le supplie

  1. Turnbull’s Voyage round the World, between the years 1801 and 1804.