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homme de sa tribu, l’un et l’autre obtinrent du capitaine Thompson leur passage jusqu’à la Nouvelle-Zélande en retour du service qu’ils feraient à bord durant la traversée. Peu de jours après le départ, George tombant malade fut incapable de travailler ; le capitaine attribue à la paresse le mal dont se plaint le Néo-Zélandais et M’épargne aucune injure. George représente que son état seul l’empêche de supporter la fatigue, et rappelant qu’il est un des chefs en son pays, revendique un droit à des égards. Ne mettant plus de borne à sa colère, Thompson fait attacher et flageller l’insulaire. Celui-ci, humilié d’un pareil traitement et dès lors exposé à tous les sarcasmes de l’équipage, a bientôt pris la résolution d’une terrible vengeance. Une fois sur la côte de la Nouvelle-Zélande, le capitaine, cédant selon toute apparence à de perfides suggestions, entra dans le havre de Wangaroa, où, semble-t-il, n’avait encore pénétré nul navire européen. L’ancre jetée, Thompson envoie à terre le malheureux Néo-Zélandais, qu’il a fait dépouiller de ses vêtemens. George tombe au milieu des siens dans le plus complet état de nudité : en ce moment tous ses griefs l’oppressent ; ses compatriotes, surexcités par le récit de ses peines, le massacre des gens du Boyd est résolu. Sur le bâtiment, personne n’imagine la possibilité d’une attaque ; le capitaine et une partie de l’équipage dans une embarcation vont droit à la rive. A peine sur la grève, ils se voient entourés par une multitude ; Thompson est tué, ses matelots partagent le même sort ; — peu d’instans ont suffi. Les insulaires se couvrent des habits de leurs victimes et se portent au vaisseau, afin d’achever leur œuvre. Altérés de sang, ils montent sur le pont ; les hommes de l’équipage et les passagers sont égorgés. Quelques-uns se cachent ; précaution inutile, les sauvages fouillent toutes les parties du navire, et nul n’est épargné. Les matelots qui ont grimpé dans la mâture ne sont pas plus heureux. Un vieux chef de la baie des lies venu à Wangaroa avait tâché de sauver les derniers que les coups n’avaient pas encore atteints ; il fut impuissant à mettre fin à la scène sanglante. Il ne restait plus personne à tuer ; sur le navire même se prépare le festin.

Hommes, femmes, enfans, tout a péri, à l’exception de quatre individus. Une femme et deux enfans blottis dans un coin n’ont pas été découverts ; lorsque leur présence se révèle, : la fureur des bourreaux s’est apaisée ; on les traite avec une certaine bonté. Le quatrième est un jeune garçon qui, pendant la traversée, avait témoigné à George quelque amitié ; se voyant, poursuivi, il s’était écrié : « George vous ne voulez pas qu’on me tue, » et George ripostant : « Non, je ne veux pas qu’on te fasse mourir, tu es un bon camarade, » l’avait pris sous sa protection. Le massacre achevé, un Néo-Zélandais tirant — au hasard — un coup de fusil, le magasin à poudre reçoit une