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discours des états-généraux ; nos anciens orateurs ont eu pour maîtres les écrivains politiques de leur temps, comme plus tard les constituans de 1789 furent les élèves des philosophes du XVIIIe siècle.

Quand les députés, après un voyage difficile et périlleux, après une de ces longues chevauchées à travers la France, si souvent faites et racontées par Froissart, arrivaient au rendez-vous royal, un spectacle imposant les attendait : la cour, en paraissant au milieu des mandataires de la nation, déployait ses magnificences ; elle se plaisait à imprimer un caractère de majesté et d’autorité à la première séance des états. Une vaste salle, décorée de tapisseries de haute lice, de draps d’or, de tentures de velours bleu ou violet fleurdelisé, s’ouvrait aux cinq ou six cents membres dont se composait l’assemblée, — ce nombre même parfois s’est élevé au double ; — les officiers de la couronne, les dames, les spectateurs de marque prenaient place dans de larges galeries ou tribunes ; un espace clos de barrières était réservé à la foule. Du haut d’une estrade, d’où l’on dominait les trois amphithéâtres destinés aux trois ordres, le roi, entouré de sa maison militaire, prononçait un discours ou donnait la parole au chancelier de France ; quelques-unes de ces harangues royales comptent parmi les plus remarquables monumens de notre ancienne éloquence. La gravité de la crise politique et du péril national, cause trop ordinaire de ces convocations d’assemblées, ajoutait à la solennité de l’événement et redoublait l’émotion : n’oublions pas que cet intervalle de 1302 à 1614, presque entièrement rempli par la guerre de cent ans et par les guerres de religion, est l’époque la plus sombre et la plus tragique de notre histoire. Appelés au secours du pouvoir en détresse, et pénétrés du mandat de salut qui leur était confié, les états appliquaient leur contrôle au gouvernement tout entier ; ils portaient l’œil et la main sur l’ensemble des services publics : la justice l’armée, les finances, la paix et la guerre, les rapports du spirituel et du temporel, l’établissement des régences et des tutelles royales, la succession au trône et la dévolution de la couronne, les intérêts les plus considérables comme les plus hautes questions tombaient sous leur compétence et sollicitaient leur examen ; plus d’une fois ils ont conquis la plénitude de la puissance et de l’action dirigeante, en profitant des défaillances de la royauté. Ce n’était donc ni la grandeur des sujets, ni l’inspiration des circonstances, ni le sentiment d’un important devoir à remplir qui pouvaient manquer aux orateurs : tout concourait à leur élever l’âme, à développer l’étroit horizon de leurs pensées habituelles, à remuer chez eux les passions fortes qui sont les ressorts de l’éloquence sérieuse comme de la haute poésie. Nous savons dans quelles conditions se produisait l’éloquence des