Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/107

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de discussion prises aux heures les plus libérales du règne. A l’abri précaire d’une liberté relative, journaux et revues de toute sorte ont pris un grand et rapide essor.

Les journaux ne sont pas en Russie chose nouvelle, et leur influence y est antérieure à leur affranchissement. Pierre le Grand fut ici comme en tout l’initiateur. C’est vers 1703 qu’il introduisit dans ses états ce futur adversaire du pouvoir absolu. À cette première gazette, qui paraissait à des intervalles irréguliers et ne s’occupait que de sciences et de nouvelles littéraires, a succédé, croyons-nous, la Gazette de Moscou (Moskovskiia Védomosti), qui, prenant l’année 1755 comme date officielle de sa naissance, inscrit fièrement en tête de ses pages ses cent vingt-trois ans d’existence. Combien de feuilles européennes ont eu une aussi longue carrière ? Sous les successeurs de Pierre le Grand, sous Catherine II surtout, parurent plusieurs feuilles consacrées principalement à la littérature et à la critique. Durant toute la première moitié du XIXe siècle, la presse russe a conservé le caractère essentiellement littéraire qu’elle avait au XVIIIe. Le grand développement de ses journaux politiques ne date vraiment que du règne d’Alexandre II, et jusque sous ce prince la presse a gardé quelque chose des habitudes que lui avaient fait prendre dès sa naissance le régime autocratique et les mœurs publiques. Ce qui la distinguait jusqu’à ces derniers temps, c’était la longue prédominance de la revue sur le journal, suite naturelle de la prépondérance de la littérature sur la politique[1].

Sous le règne d’Alexandre Ier se sont fondées des revues qui, après trois quarts de siècle, gardent encore une grande vogue. En 1802, c’était à Saint-Pétersbourg le Messager d’Europe (Vêstnik Evropy), qui, dirigé d’abord par Karamzine, est demeuré le principal représentant du libéralisme moderne et de l’esprit occidental. En 1809, c’était à Moscou, le Messager Russe (Rousskii Vêstnik), qui, après avoir eu des tendances slavophiles, est resté sous la direction de M. Katkof, le principal organe des idées conservatrices et des aspirations nationales[2].

La Russie compte aujourd’hui une dizaine de grandes revues, dont quelques-unes tirent à huit ou neuf mille exemplaires, chiffre

  1. Sur ces débats de la presse russe comme sur ses principaux organes, le lecteur peut consulter l’Histoire de la littérature contemporaine en Russie, de M. Courrière.
  2. A côté de ces deux recueils s’en placent d’autres également considérables, et de tendances fort diverses, tels que le Fils de la patrie (Syn otetchestva), le Contemporain (Sovremennik) aujourd’hui supprimé, le Citoyen (Grajdanine) aujourd’hui suspendu, la Parole (Slovo), la Parole russe (Rousskaïa retch), les Annales de la patrie et le Diêlo (l’Œuvre) ; ces deux derniers fortement imbus de l’esprit démocratique. Il y a en outre des revues historiques ou spéciales, telles que les Archives russes, les Antiquités russes, le Journal de l’instruction publique, la Revue critique, etc.