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universités ou aux académies. Les savans en possession des dignités officielles prétendaient naturellement à de pareilles prérogatives et, avant de recevoir des censeurs l’imprimatur, les travaux scientifiques devaient être soumis à l’appréciation d’un comité d’académiciens ou de professeurs : ainsi en était-il partout, le même ordre bureaucratique, la même exacte discipline régnait dans toutes les branches de la vie publique. Avec de telles précautions, il n’y avait en vérité rien à craindre de la malignité individuelle ou des passions de parti, mais on peut juger quelle situation faisait un tel régime à la presse et à la littérature, aux fonctionnaires et au tchinovnisme. C’était pour chaque service, avec l’assurance contre toute critique, le droit à la négligence, à la routine, à l’impéritie.

Toutes ces juridictions spéciales sont tombées au début du règne d’Alexandre II. En droit, si ce n’est toujours en fait, les diverses administrations ont perdu la faculté de contrôler tout ce qui les concernait. Sauf en matière ecclésiastique, les écrits et imprimés ne relèvent plus que de la censure ordinaire, qui en 1863 a passé du ministère de l’instruction publique au ministère de l’intérieur. C’est en 1865, dans l’année qui suivit la promulgation des nouveaux règlemens judiciaires, que fut édictée la loi affranchissant de la censure préventive une notable partie de la littérature et de la presse.

Un ukase impérial exempta de toute autorisation les ouvrages originaux ayant au moins dix feuilles d’impression, et les traductions n’ayant pas moins de vingt feuilles. Le même privilège fut reconnu à toutes les publications du gouvernement, des académies, des sociétés savantes et enfin à toutes les éditions et traductions des langues anciennes. Tite-Live et Tacite, Démosthène et Plutarque purent paraître sans les mutilations ou corrections que leur faisait infliger l’empereur Nicolas, imitateur en cela de Napoléon Ier.

Le droit de paraître sous la responsabilité de l’auteur et de l’éditeur n’affranchit pas les écrivains de tout contrôle. Chaque volume ainsi publié sans visa des censeurs doit être déposé entre leurs mains quelques jours avant d’être mis en vente et peut être saisi si la-diffusion en est jugée dangereuse. D’après l’ukase de 1865, c’était aux tribunaux de décider si cette saisie devait être levée ou maintenue. Depuis 1872, un ukase restreignant les franchises accordées par le précédent a remis au comité des ministres le droit de décider souverainement de l’interdiction et de la confiscation d’un ouvrage ou d’une livraison de revue, et cela sans préjudice des poursuites judiciaires contre les éditeurs, auteurs, et parfois même imprimeurs. Si élevée que soit l’autorité ainsi érigée en tribunal suprême de la pensée et de la plume, c’est toujours une autorité