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entièrement fermée par une presqu’île boisée et par l’île des Serpens (Ylandji-Adassi), l’ancienne Rhopussa. Les rues en escaliers grimpent le long de la colline où la petite ville est assise et se groupent autour d’une construction massive, irrégulière, dont la porte est surmontée d’une inscription turque ; c’est un caravansérail élevé par le sultan Sélim Ier. Il faut chercher à trois quarts d’heure de Marmara, dans la direction de l’ouest, les traces de la ville antique de Physkos, dont l’emplacement est nettement marqué par les ruines d’un château byzantin. La ville turque n’offre que des débris antiques insignifians, encastrés dans les murs des maisons. Le centre de l’activité à Marmara est la marine, où se trouvent réunis le café, le bureau de la douane et le konak, qui est la résidence du kaïmacam. Le bureau d’un sous-préfet turc est d’une simplicité qu’il est permis de trouver excessive. Un vieux divan fait le tour d’une salle nue à laquelle on accède par une échelle ; les murs sont blanchis à la chaux, et un drap cloué sur un des pans de la muraille dissimule imparfaitement une large crevasse. Le seul meuble officiel est un fauteuil européen, dans lequel le kaïmacam s’accroupit à la turque quand il donne ses audiences. Point de papiers ni d’archives. Un gendarme ou zaptié apporte-t-il une lettre à signer, le magistrat tire son cachet d’une petite bourse et l’applique sur le papier, qu’il jette dédaigneusement à terre ; le zaptié le ramasse avec respect et se retire à reculons. Le kaïmacam de Marmara est un jeune Turc de bonne mine, tout nouveau dans le pays, qu’il connaît mal. Comme beaucoup de jeunes fonctionnaires turcs, il paraît comprendre que l’administration ottomane n’est pas parfaite, et nous demande avec tristesse : « Si l’on me voyait à Paris, on me prendrait pour un sauvage ? » Au reste, il est superflu de l’interroger sur les routes du pays et sur la distance des villages, même les plus voisins. Ces perpétuels changemens des magistrats et des fonctionnaires ottomans créent les plus sérieux obstacles à la bonne administration du pays ; on ne l’ignore pas à Constantinople, et le hatt impérial du 10 septembre 1876 n’a pas manqué de signaler « que les employés sont l’objet de changemens fréquens et non justifiés par des motifs légitimes. »

Nous passons la soirée sur la marine, en compagnie du kaïmacam et du cadi. Toute la population masculine est réunie devant le café, pour écouter deux improvisateurs qui donnent un concert. Les deux chanteurs s’accompagnent avec une mandoline à long manche, et se donnent la réplique par une série de couplets alternés que les Turcs appellent hachik. La musique est douce et mélancolique, et les couplets se terminent tous par une note aiguë et prolongée. Cette mélodie languissante accompagne des paroles dont le fond est emprunté aux plaintes de l’amour ; toutefois les étrangers ne