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servir de modèle pour plus d’une école primaire en France. Deux cents enfans sont réunis là, dans un ordre parfait. L’un de ces enfans nous raconte les guerres médiques et les victoires des Hellènes sur les Perses. « Mais qu’étaient les Perses ? — C’étaient des barbares d’Asie, les Turcs de ce temps-là. » Et toutes les petites têtes coiffées du fez se redressent fièrement.

Le soir, les mosquées, le konak et les demeures des principaux fonctionnaires sont illuminés en l’honneur du nouveau sultan. De leur côté, les Grecs dissertent sur l’avènement de Mourad ; ils commentent la prophétie d’après laquelle c’est sous le règne d’un Mourad que Constantinople doit être livrée aux Grecs, et ils ne désespèrent pas de voir bientôt sortir de la chapelle murée de Sainte-Sophie le prêtre légendaire qui reprendra sa messe interrompue par les soldats de Mahomet II.


2 juin.

Départ pour Adalia et route en montagne dans les défilés de l’Aghlasan-Dagh. A une faible distance de la ville, on s’engage dans une passe étroite, resserrée entre de hautes murailles de rochers. L’aspect de ce col est saisissant. Au-dessus des premières assises courent d’immenses parois de rocs taillées à pic, semblables à de gigantesques courtines. Bientôt un orage éclate dans la montagne et ajoute encore au caractère imposant de cette magnifique solitude. Les chevaux refusent d’avancer ; en pareil cas, le voyageur n’a qu’à se résigner, sans essayer de lutter contre l’obstination de sa monture. Il y a d’ailleurs un charme étrange à suivre de l’œil les lourdes nuées glissant le long des murailles de rocher et laissant voir, à travers leurs déchirures, les plus hautes crêtes éclairées par un soleil d’orage. Au sommet du col nous retrouvons la civilisation turque sous la forme d’un poste de zaptiés. Deux soldats déguenillés s’abritent comme ils peuvent sous un coin du toit percé à jour, qui laisse entrer des torrens d’eau. Il suffirait de trois planches pour rendre le poste habitable : « Nous n’avons pas reçu d’ordre, nous disent les zaptiés ; or nous sommes soldats et nous ne devons qu’obéir. D’ailleurs nous serons remplacés dans deux jours. »

Du côté du versant méridional, la descente est pénible. On reconnaît le chemin aux traces laissées par les pieds des chevaux sur d’énormes pierres disposées à peu près en escalier ; c’est le hasard qui a fait tous les frais de cette route ; c’est lui qui conduira intacts hommes et chevaux jusqu’à mi-hauteur de l’Aghlasan-Dagh, où s’étagent les ruines de la ville antique de Sagalassus. Le Français Paul Lucas, qui voyageait en 1706, a laissé de ces ruines une description enthousiaste. Ces débris, dit-il, « appartiennent plutôt au