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Est-ce à dire pourtant qu’il n’en résulterait pas un trouble profond dans les consciences et dans les intérêts d’un grand nombre de Français ? Non certes : on ne détruit pas violemment une législation trentenaire, on ne supprime pas du jour au lendemain des établissement considérables, les habitudes et les besoins qui en sont nés ; on ne met pas sur le pavé sept ou huit mille boursiers sans provoquer une grande et légitime émotion. Aussi, dès leur apparition, les projets de M. Ferry ont-ils soulevé dans le pays une agitation que le vote de la chambre a redoublée. Il s’est formé du coup sur le terrain de l’article 7 une opposition formidable au gouvernement de la république. En quelques mois, plus de dix-sept cent mille signatures de protestation ont été réunies. Nous savons bien qu’on a contesté la validité de ces signatures. On a prétendu qu’elles avaient été surprises, extorquées, on les a représentées comme le résultat du dol et de la fraude ; mais on s’est bien gardé de l’établir. On n’a cité qu’un fait qui se serait passé dans une petite commune du Puy-de-Dôme ; encore l’a-t-on complètement dénaturé, nous pourrions le prouver[1].

Du reste, à qui fera-t-on croire que les adversaires de l’article 7 aientpu surprendre la bonne foi de 1,700,000 protestataires ? S’ils se sont remués comme c’était leur droit, s’imagine-t-on que les partisans de la loi soient restés les bras croisés ? Si le presbytère et le château se sont mêlés de l’affaire, pense-t-on que l’administration n’y a point pris part ? La vérité, c’est que des efforts considérables ont été faits des deux côtés, qu’il y a eu lutte, contradiction, qu’on s’est battu, sachant fort bien pourquoi l’on se battait, et qu’on a signé, comme on eût voté, en parfaite connaissance de cause. Bref, on ne nous persuadera pas qu’il n’y ait eu là qu’une agitation superficielle et que les consciences d’un grand nombre de Français ne soient pas singulièrement alarmées. On a pu soutenir cette thèse

  1. Voici le passage du discours de M. Ferry qui a trait à cet incident : « Un fait des plus curieux s’est passé à Eglisolles (Puy-de-Dôme) ; il y a un maire très puissant dans la commune, il a la confiance populaire, et il avait adressé au sénat une pétition conforme à la formule très adroitement obscure du comité. Sa pétition était revêtue de sa signature et de celle de ses cinquante fidèles administrés. Mais, après cet envoi, le maire fut averti, on lui fit comprendre qu’il avait été trompé et qu’il s’agît de jésuites et de l’article 7. Alors le maire, suivi de ses cinquante administrés fidèles, signe une protestation et il m’invite à faire passer l’article 7. »
    Qui ne croirait à ce récit que la première pétition ainsi que la dernière n’était revêtue que de cinquante signatures, que toute la commune s’est rétractée ? Or la première pétition portait trois cent quarante-cinq signatures. Donc il en reste encore deux cent quatre-vingt quatorze ; donc la commune ne s’est pas rétractée.