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publique l’esprit des affaires ; il s’occupe des intérêts de l’état comme de ses propres intérêts, en tenant compte des circonstances et en préférant aux théories absolues les règles d’une pratique éclairée. Il a une certaine tolérance naturelle pour ses adversaires politiques ; il les combat vigoureusement, mais il ne les traite pas de scélérats, il ne cherche pas à les détruire et n’a aucune envie de les manger. Il se prête aux transactions, aux compromis ; il sait se contenter d’à-peu-près, de cotes mal taillées. N’étant pas artiste et ne se piquant pas d’être grand logicien, il ne se soucie point de donner à ses institutions la rigueur d’un théorème de géométrie ou la régularité savante d’une œuvre d’art ; il supporte les anomalies, il prend son parti des contradictions et le médiocre lui suffit ; il laisse à ses descendans le soin de l’améliorer. « Tâchez, mon enfant, écrivait une femme d’esprit, de vous accommoder un peu de ce qui n’est pas mauvais ; ne vous dégoûtez point de ce qui n’est que médiocre. » Cette femme d’esprit raisonnait ce jour-là comme un homme d’état anglais et comme M. Strousberg veut qu’on raisonne. L’Angleterre est, selon lui, le seul pays où il y a de vrais conservateurs, qui font la part du progrès, et de vrais libéraux, qui comptent avec le passé. Il part de là pour reprocher aux conservateurs prussiens de n’être que des réactionnaires obtus, tout farcis de préjugés, et aux progressistes allemands de raisonner en doctrinaires qui manquent de sens pratique et sont toujours prêts à sacrifier les colonies à leurs principes.il leur représente que les peuples qui ont le goût des abstractions, que les peuples logiciens, comme les peuples spirituels et les peuples artistes, ne sont pas faits pour le régime parlementaire, que l’esprit de système est ce qu’il y a de plus contraire à la bonne politique, qu’il faut se défier de la science, de la haute dialectique, et s’en tenir au good common sense, à ce gros bon sens que Voltaire définissait une raison grossière, une raison commencée, un état mitoyen entre la stupidité et l’esprit.

Jadis, à la chambre des communes, lord Palmerston, parcourant des yeux la phalange serrée et les respectables figures des représentans des comtés, laissa échapper ce propos irrévérencieux : « Voilà, ma foi, les forces brutes les plus belles qu’il y ait en Europe ! » Il ne faut pas trop médire des forces brutes ; grâce à leur discipline, elles sont souvent le nerf des parlemens et le salut des états, dont les grands raisonneurs et les hommes d’esprit ont été quelquefois le fléau. « L’Allemand, nous dit M. Strousberg, a d’ordinaire la tête plus grosse, plus forte et mieux formée que l’Anglais ; mais en revanche l’Anglais a la figure mieux faite et mieux taillée que l’Allemand. Beaucoup d’Allemands joignent à un vaste front de Jupiter un nez camus, beaucoup d’Anglais ont un crâne insignifiant et un visage bien découpé et vigoureusement accentué. » M. Strousberg paraît en conclure que les fronts de Jupiter et les nez camus sont une marque assurée d’inaptitude à la vie parlementaire, et que les meilleures assemblées politiques sont celles qui renferment