Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Florence ou au patriote italien ? à celui qui a chanté les gloires du catholicisme, ou à celui qui a flagellé la corruption du saint-siège ?

LE COMMANDEUR. — Je ne saurais répondre à cette question, madame n’ayant, jamais étudié la Divine Comédie qu’au point de vue de l’art, et c’est la théologie, la philosophie et l’histoire qu’il faudrait interroger ici. Ce n’est que par obéissance à des ordres aussi impérieux que gracieux que je suis entré dans tous ces développemens ; ils ont été bien longs, hélas ! et je savais qu’ils ne devaient être que de très peu d’utilité ; mais vous l’avez exigé, madame,

Discolpi me, non potert’ io far niego…[1]

LA COMTESSE. — Et moi je répliquerai avec notre grand poète :

… Maestro, il mio veder s’avviva
Si nel tuo lume, ch’io discerno chiaro
Quanto la tua ragion porti, o descriva[2].


Votre discours a jeté sur le problème dantesque plus de lumière que votre modestie n’en voudrait convenir, monsieur le commandeur, et vos pensées sur Michel-Ange m’ont ouvert des horizons tout nouveaux ; je vous en demeurerai obligée et reconnaissante pour toute ma vie. Et vous tous, mes chers amis, que j’ai vus constamment suspendus aux paroles de notre illustre maître :

voi, ch’ avete gl’ intelletti sani[3],


unissez-vous à moi dans l’expression d’une gratitude véritable. Tout le monde se leva et alla tour à tour serrer la main au vieillard, plus suffoqué encore par ces témoignages d’affection que fatigué de sa harangue de plusieurs heures. Il y eut même un moment d’émotion et d’effusion dont on n’aurait pas cru capables des gens d’aussi bonne compagnie ; mais le vicomte Gérard ne tarda pas à faire un rappel à l’ordre en s’écriant de sa voix enjouée :

— O voi, ch’ avete gl’ intelletti sani,


ce qui traduit en français veut simplement dire : O vous qui avez quelque peu de bon sens, songez que nous avons dépassé depuis longtemps les heures réglementaires de nos soirées et que certains beaux yeux doivent avoir besoin de sommeil. Prenons congé de notre gracieuse hôtesse et souhaitons-lui des songes qui ne soient troublés ni par les visions du Jugement dernier, ni par les Graffiacane et Rubicante du divin Alighieri.


JULIAN KLACZKO.

  1. Purgat., XXV, 33.
  2. Purgat., XVIII, 10-12.
  3. Infern., IX, 61.