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donc la société qui doit fixer au besoin l’indemnité, la compensation, selon les règles de la justice commutative et contractuelle. Tels sont les fondemens de ce qu’on appelle la réparation civile. Mais la réparation, nécessaire dans l’ordre civil, n’a-t-elle aucune place dans l’ordre politique et social ? C’est ce que nous ne pouvons admettre. Il y a une sorte d’injustice que l’individu ne saurait réparer lui-même et dont la réparation incombe d’autant plus à l’association entière que c’est l’association même qui l’a commise. Les hommes, en effet, peuvent être injustes, collectivement, c’est-à-dire dans leur action commune, c’est-à-dire encore dans les actes de l’ordre politique et social. Prétendra-t-on que l’injustice cesse d’exiger réparation parce qu’elle a été commise en grand ? Quand une société commerciale ou industrielle, même anonyme, viole les droits et la loi, échappe-t-elle au devoir de justice réparative parce qu’elle est une association ? De même, dira-t-on que la grande société civile et politique doit réparer toutes les injustices excepté les siennes ? Chaque fois que la société abroge une loi ou une institution politique comme étant formellement injuste et comme violant des droits qui auraient dû être respectés, la société reconnaît par cela même qu’elle avait jusqu’alors commis ou accepté une injustice ; c’est là un point qu’on oublie généralement. Suffit-il alors de supprimer purement et simplement la loi injuste pour que tous les devoirs sociaux soient remplis ? Voici par exemple une loi qui reconnaît enfin à toute une classe d’hommes des droits jusqu’alors méconnus soit civils, soit politiques, tels que le droit de suffrage ; est-ce assez de dire à ceux qui souffraient de l’injustice séculaire : « La loi est changée, et désormais le mal ne se reproduira pas ? » Mais le mal déjà produit subsiste, et ses conséquences s’étendent à l’infini dans la société : les classes asservies pendant des siècles, n’ayant point joui des mêmes droits que les autres, n’ont pu se développer avec la même liberté et ne se trouvent point avec les autres dans les conditions d’égalité véritable ; elles n’ont pu comme elles éclairer leur intelligence, elles n’ont pas même pu comme elles jouir de tous les fruits de leur travail ; enfin elles ont contracté dans la misère des vices qu’une sorte de fatalité transmet de génération en génération. Devant ce résultat de l’injustice accumulée, la société se déclarera-t-elle sans compétence, sans droit, sans devoir ? Il faut bien l’avouer, les hommes sont trop portés à se décharger de toute responsabilité pour leurs fautes collectives ; nous ne pouvons nous défaire des vieilles idées serviles sur l’absolutisme de l’état, qui nous apparaît toujours comme un souverain irresponsable et au-dessus de la justice. Quand le sujet d’un despote de l’Orient est frappé d’une amende arbitraire, il