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attachantes. Le langage des femmes du peuple, par exemple, est devenu presque élégant ; les tournures de phrase sont ingénieuses ; les idées ne manquent pas d’élévation. Sans prétendre le moins du monde qu’elles devinent la pensée des interlocuteurs, on peut remarquer qu’elles ont acquis une certaine finesse qui leur permet de comprendre à demi mot. Mais ce qu’il y a chez elles de plus frappant, c’est la vivacité étrange de leurs sensations. Ainsi rien n’est plus facile que de les faire pleurer ; il suffit de leur parler d’un sujet triste. Alors même que l’histoire racontée ne devrait les intéresser que médiocrement, elles se mettent à gémir, puis à verser d’abondantes larmes et à sangloter. Il n’est même pas rare de voir survenir une excitation nerveuse qu’il faut calmer le plus vite possible en leur faisant imaginer des tableaux agréables. Cette sensibilité pour les malheurs d’autrui, ces attendrissemens exagérés peuvent être comparés à ce qu’éprouvent les individus qui commencent à s’enivrer. Parfois aussi les sentimens joyeux et admiratifs sont poussés à l’excès : la poésie, la musique surtout, produisent une véritable extase, et l’on ne peut oublier ce spectacle dès qu’on a une fois assisté à la mimique merveilleuse qu’elles déploient. Très souvent ces mouvemens d’admiration sont traversés par des colères enfantines, des antipathies inexpliquées, et des sympathies plus bizarres encore ; parfois elles raillent, et non sans esprit ; elles rient beaucoup des plaisanteries qu’elles font, et leurs rires comme leurs larmes se terminent par une étrange surexcitation.

Un des phénomènes les plus intéressans du somnambulisme a été étudié il y a une trentaine d’années par un Anglais nommé Braid. Si on place les membres dans une certaine position, si on donne au corps une certaine attitude, cette position, cette attitude, font naître des sentimens qui s’y conforment. Ainsi, que l’on fasse étendre le poing à un somnambule, aussitôt ses traits prendront l’expression de la colère, et de la menace. Qu’on lui joigne les mains dans l’attitude de la prière, il se mettra à genoux, et toute sa physionomie indiquera la supplication. Ses traits prennent alors l’expression vraie des passions de l’âme. Nul peintre, nul sculpteur n’a réussi à représenter la terreur, le dégoût, le mépris, la colère, la tendresse amoureuse, l’extase religieuse avec autant de vérité que les somnambules, même les moins intelligens, lorsqu’on provoque chez eux ces sentimens. C’est que l’esprit, concentré en lui-même, n’est pas troublé par toutes ces excitations venues du dehors qui mettent sans cesse, et le plus souvent à notre insu, un frein à nos sentimens intérieurs. La colère d’un somnambule est la colère typique, idéale, et sa physionomie sera aussi expressive que le sentiment qui l’anime est puissant et sans mélange.