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des eaux et font payer aux concessionnaires une certaine redevance. Dans le département des Bouches-du-Rhône, l’un des plus importans est le canal de Craponne, ouvert en 1554 par Adam de Craponne avec ses seules ressources, qu’il engloutit dans son œuvre ; ce canal, qui est absolument privé et dont l’administration est confiée aux actionnaires, prend ses eaux dans la Durance, parcourt une étendue de 13 lieues et arrose environ 10,000 hectares. Le canal des Alpines au contraire, avec ses dérivés, appartient aujourd’hui à l’état ; il est loué par bail aux concessionnaires qui l’exploitent. Un projet dont l’exécution transformerait la physionomie de toute une région est celui de l’ouverture d’un canal latéral au Rhône, dont M. Aristide Dumont s’est fait le promoteur. Il ne nous appartient pas de juger les difficultés techniques de cette entreprise, qui, si elle peut être menée à bonne fin sans trop de frais, serait un bienfait immense pour tous les départemens arrosés.

On s’occupe aussi depuis quelques années de fertiliser la plaine de la Grau au moyen du limon contenu dans les eaux de la Durance et en colmatant cette plaine aujourd’hui stérile. Mais ne vaudrait-il pas mieux empêcher la Durance et les torrens qui s’y jettent de détruire les montagnes et d’en répandre les débris dans les plaines ? On en connaît aujourd’hui le moyen, grâce aux beaux travaux de M. Surell, et les reboisemens entrepris par l’administration forestière ont déjà prouvé leur efficacité. Mais ceux-ci ne peuvent se poursuivre tant que le pâturage dans les montagnes ne sera pas réglementé, et cette réglementation dépend surtout des irrigations qu’on fera dans les plaines et les vallées, puisque ce sont les troupeaux transhumans qui font le plus de ravages et dont il faut empêcher les voyages périodiques. Ce sont deux questions connexes dont la solution s’impose aujourd’hui au gouvernement.

Un des symptômes les plus sérieux du progrès agricole, c’est le soin qu’un grand nombre de propriétaires prennent de leurs forêts. Il y a vingt ans à peine, on s’imaginait que le défrichement d’un bois était toujours une bonne spéculation parce qu’il permettait d’utiliser l’humus accumulé dans le sol par la végétation ligneuse. On en est bien revenu depuis, et aujourd’hui on remet en bois toutes les terres qu’on ne peut cultiver avec avantage. C’est la mise en pratique de ce principe fondamental en agriculture qu’il ne faut labourer que les terres qu’on peut fumer ; toutes les autres doivent rester en bois ou en pâturage. Cette tendance de la part des particuliers doit encourager l’état à poursuivre son œuvre du reboisement des montagnes, qui intéresse à un si haut degré la prospérité de nos départemens méridionaux. S’il parvient à triompher des difficultés, plus politiques que matérielles, qu’il rencontre, il aura résolu les