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les siècles. La discipline était dure, comme les temps. Le fouet régnait en maître sur l’écolier ; vainement quelques âmes élevées protestaient. Un abbé parlait à saint Anselme des enfans dont il faisait l’éducation : « Ils sont, disait-il, méchans et incorrigibles ; jour et nuit nous ne cessons de les frapper, et ils empirent toujours ; — Eh quoi ! répondit Anselme, vous ne cessez de les frapper ! Et quand ils sont grands, que deviennent-ils ? Idiots et stupides. Voilà une belle éducation qui d’hommes fait des bêtes ! .. Si tu plantais un arbre dans ton jardin et si tu l’enfermais de toutes parts de façon qu’il ne pût étendre ses rameaux, quand tu le débarrasserais au bout de plusieurs années, que trouverais-tu ? Un arbre dont les branches seraient courbées et tortues, et ne serait-ce pas ta faute pour l’avoir ainsi resserré immodérément ? »

Trois siècles plus tard, les recommandations du pieux Gerson ne sont pas plus écoutées. La seule différence, dit un historien, c’est qu’en cent ans la longueur des fouets a doublé. Montaigne ne parle qu’avec indignation des internats de son époque : « Ce sont de vrayes geaules de jeunesse captive ;… vous n’oyez que cris et d’enfans suppliciez et de maistres enyvrez en leur cholère… » — On sait que, malgré la douceur générale de leur discipline, les jésuites conservèrent religieusement l’usage du fouet. Seulement ils ne l’administraient pas eux-mêmes ! un correcteur spécial, qui ne faisait pas partie de l’ordre, était chargé de ce soin. Les fils des plus grands seigneurs n’échappaient pas à cette humiliante punition, Saint-Simon raconte que le fils du maréchal de Boufflers, à qui elle fut infligée, en tomba malade de désespoir. Tous n’étaient pourtant pas absolument égaux devant les verges des bons pères ; on fouettait le petit Boufflers, parce que l’ordre n’avait rien à craindre d’un maréchal ; on ne fouettait pas, pour une faute aussi grave, les fils d’Argenson, parce qu’un lieutenant de police est toujours un homme à ménager.

On pourrait presque mesurer le progrès des idées sur l’éducation d’après la place qu’y occupent les punitions corporelles. Quelle opinion de la dignité humaine peut avoir le maître qui se croit le droit de traiter comme un animal l’enfant confié à ses soins ? Et quel respect de soi-même et des autres sera capable de concevoir celui à qui l’on aura fait accepter comme légitime l’humiliante brutalité de pareils châtimens ? Ils ne sauraient subsister sous aucun prétexte dans les écoles d’une société aux yeux de qui l’enfant contient déjà le citoyen et l’homme libre. Aussi n’est-ce pas sans quelque surprise que nous voyons un esprit aussi libéral que M. Bain faire encore figurer ce genre de peines sur la liste des punitions. Il veut, sans doute, qu’on en use le plus rarement possible ; il propose même de confiner dans des établissemens spéciaux les élèves qu’aucune autre