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puisqu’au fond il s’agissait de savoir s’il y aurait quelque droit en dehors de l’autorité royale, si en face de ce despotisme sous lequel ployait toute la France, quelques familles au moins pourraient encore rester debout. J’avoue que, lorsqu’on fait ces réflexions, on est disposé à trouver les disputes éternelles de notre forcené duc et pair moins ridicules, et que la sévérité même de Louis XIV pour lui nous avertit de lui être un peu plus indulgens.

On voudrait bien en savoir davantage sur la jeunesse de Saint-Simon ; on souhaiterait pouvoir le suivre, pendant ces premières années, à Paris et à La Ferté[1], connaître plus exactement comment il passait son temps et ce qui s’agitait dans cette jeune tête pendant qu’on lui faisait apprendre les sciences qui ne lui plaisaient guère et l’histoire qui le transportait. M. de Boislisle a essayé au moins de réunir tous les renseignemens inédits ou publiés qu’il a pu trouver sur la vie de son auteur à cette époque. Il avait pour gouverneur un gentilhomme très cérémonieux, qu’il emmena plus tard à l’armée et qui perdit sa perruque à Nerwinde. Ce gouverneur, le matin du 25 août 1683, entra dans la chambre de son élève, dont c’était la fête, et lui remit une instruction détaillée, peut-être un peu grave pour un enfant de huit ans et demi, mais tout à fait honnête, et que nous avons conservée. Parmi les leçons qu’il lui donnait, en voici une qui jette quelque jour sur le caractère du jeune duc en ce moment. « Vous êtes sujet à la colère, lui dit le gouverneur, excitez-vous à la modérer et à devenir clément. Souvenez-vous que, si vous venez à battre vos gens, vous vous ferez plus de tort que vous ne leur ferez de mal. » Je ne crois pas que Saint-Simon ait battu ses gens dans la suite, mais, malgré les exhortations du digne homme, il n’est jamais bien parvenu à modérer sa colère.

Un écrit plus intéressant encore, et que M. de Boislisle s’est bien gardé d’omettre est celui où Saint-Simon a raconté les funérailles de la dauphine, auxquelles il avait assisté. C’est son premier ouvrage, et il n’est pas sans intérêt de voir comment un si grand écrivain a commencé. Cet écrit, composé par un jeune homme de quinze ans, ressemble tout à fait à l’extrait du registre d’un maître des cérémonies.

  1. Montalembert qui, comme nous l’avons vu, était si exigeant pour l’éditeur de Saint-Simon, voulait qu’on lui fit connaître l’hôtel du duc à Paris, « qu’on le menât » dans la terre de La Ferté. M. de Boislisle a fait ce qu’il a pu pour le contenter. Il nous donne l’inventaire qui fut dressé à la mort du duc Claude et qui nous apprend par le détail les meubles, les tableaux qui garnissaient les appartemens, et les livres qui composaient la bibliothèque du jeune duc. Ailleurs il transcrit une description du château de la Ferté en 1635, lorsqu’il entra dans la famille de Saint-Simon. M. Armand Baschet nous a donné l’inventaire qui fut fait en 1755, à la mort de notre auteur, où l’on voit, entre autres choses curieuses, que presque toutes les pièces contenaient des statues ou des tableaux représentant Louis XIII, auteur de la fortune de la maison, et que le duc, rancuneux jusqu’au bout, avait placé dans sa garde-robe, en face de la chaise percée, le portrait du cardinal Dubois.