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l’esprit. Le diable avoit affaire avecque gens sans sentimens, qui n’étoient expérimentés en ses ruses et dissimulations, et prenoient la nuit pour le jour. »

Il est certain que Le Loyer calomnie les anciens. S’il y eut des superstitions au temps des Grecs, celles du moyen âge et du XVIe siècle, voire même du XVIIe furent plus aveugles et plus sanglantes. Le sorcier, la sorcière, le diable, le maléfice, le sabbat, sont des inventions relativement modernes. Au temps d’Hippocrate, on admettait que toutes les maladies ont une cause naturelle (sauf l’épilepsie, qu’on appelait maladie sacrée ou maladie d’Hercule). Peut-être même y avait-il chez les anciens, au sujet du mal physique, une vague idée religieuse, celle de la fatalité, avec cette opinion que le destin envoie aux hommes des maladies pour les punir. Mais quant à préciser l’action de cette puissance fatale, le bon sens antique s’y est constamment refusé. Quand les religions orientales vinrent se mêler au paganisme expirant, la superstition commença : ce fut un temps propice aux magiciens, aux sorciers, aux devins. Bientôt cependant, avec l’effondrement de l’empire romain et la ruine totale des vieilles religions, toutes ces imaginations se dissipèrent, ou au moins il nous est impossible d’en retrouver les traces. Il faut arriver au moyen âge pour pouvoir constater la croyance au diable et aux démons. Du XIIe au XVIe siècle, le culte du diable fait des progrès rapides. Sorciers et sorcières se multiplient, si bien qu’en 1600 il y en a près de trois cent mille en France. Le diable est dépeint, décrit, étudié ; on connaît ses mœurs, ses habitudes, ses goûts, ses antipathies ; on sait comment il vient hanter les corps des malades, on connaît les formules qu’il faut employer pour le chasser, on a des moyens sûrs pour reconnaître les sorcières, des procédés efficaces pour les faire parler, et des bûchers bien flambans pour les punir.

Les témoins de cette fureur superstitieuse ne manquent pas ; on les trouve dans toutes les bibliothèques. On les consulte peu cependant. Peut-être, et non sans raison, a-t-on redouté l’ennui énorme qui se dégage de ces indigestes compilations (le livre de del Rio, in-4o à deux colonnes en petit texte, n’a pas moins de 1,070 pages). Peut-être a-t-on hésité devant le latin barbare, obscur, incorrect, des écrivains allemands, français, espagnols, italiens du XVIe siècle, peut-être aussi n’a-t-on pas osé aborder de front cette aberration universelle, qui a duré plus de quatre siècles et qui a fait de si nombreuses victimes. Toutefois ce n’est pas sans profit qu’on secoue la poussière des vieux traités de magie et de sorcellerie. On y trouve de précieux documens sur l’état de l’esprit humain au moyen âge. Si ce n’est pas tout à fait de l’histoire, c’est de la psychologie historique. Cette étude n’est donc pas sans attrait, et