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donne un jugement assez juste en disant que, par suite de leur nature sensible et ardente, les femmes bonnes sont excellentes, et que les femmes mauvaises sont exécrables.

Pour qu’une sorcière se voue au diable, il y a plusieurs procédés. Sur ce sujet on peut donner des indications précises grâce à l’inquisiteur Cumanus dont Sprenger nous raconte l’histoire. Ce Cumanus fit brûler en une seule année quarante et une sorcières en Lombardie, et cette année encore (1584), nous dit son collègue, il continue à travailler à son métier d’inquisiteur. Or, d’après Cumanus, il y a deux pactes qu’on peut faire avec le diable : l’un est solennel, et l’autre se fait en particulier ; pour le pacte solennel, les sorcières se réunissent le jour convenu, au sabbat, devant le démon, qui a pris la forme humaine, et lui amènent la novice qu’il faut initier. Le démon l’engage à renier sa foi, le culte chrétien et les sacremens. Si elle accepte, après certaines cérémonies, le diable lui demande son hommage, et lui donne le pouvoir de faire toutes sortes de maléfices avec certaines graisses, et les membres ou les reins d’enfans récemment baptisés. Ce pacte solennel est facile à reconnaître et à punir, tandis que le pacte tacite est, de l’aveu général, presque insaisissable. Il faut une longue pratique et beaucoup d’expérience avant d’en pouvoir donner la preuve. Pour faire un pacte tacite avec le diable, il suffit de se servir d’expressions ou de formules magiques, ou même d’être lié d’amitié avec une sorcière. Il y a plus : sans conclure de pacte, soit solennel soit tacite, on peut être cependant voué au diable. C’est ce qui arrive toujours aux enfans des sorcières, qui, par le fait même de leur naissance, sont consacrés à Satan.

Le pacte solennel, si évident aux auteurs du XVIe siècle, est un des problèmes les plus obscurs de l’histoire. Existait-il un véritable sabbat ? Y avait-il à certains momens de la nuit un départ des villageois ou des citadins pour une assemblée mystérieuse qui se tenait dans la forêt, dans la lande, sur la colline ? Michelet, qui a traité cette question avec son imagination poétique et déréglée, pleine de vraie érudition cependant, pense que le sabbat existait réellement. « Représentez-vous sur une grande lande et souvent près d’un vieux dolmen celtique, à la lisière d’un bois, une scène double : d’une part, la lande bien éclairée, le grand repas du peuple ; d’autre part, vers le bois, le chœur de cette église dont le dôme est le ciel. J’appelle chœur un tertre qui domine quelque peu. Entre les deux, des feux résineux à flamme jaune et de rouges brasiers, une vapeur fantastique. Au fond la sorcière dressait son Satan, un grand Satan de bois, noir et velu, ténébreuse figure que chacun voyait diversement. »