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Bénévent, et fut contraint mendier pain et habits, et le huitième jour il arriva, en sa maison, fort maigre et défait, et alla accuser sa femme qui fut prise, et en accusa d’autres qui furent brûlées toutes vives après avoir confessé la vérité. »

On trouve dans Bodin, dans Sprenger, dans Del Rio, beaucoup de récits analogues. La sorcière se graisse avec certains onguens ; tout d’un coup elle est transportée dans les airs, soit sur un bouc noir qui se trouve là tout exprès, soit sur un manche à balai, soit sur tout autre véhicule aussi commode. Elle arrive au sabbat, elle y trouve des démons qui dansent, elle danse avec eux, et avec des sorcières et des sorciers venus des villages voisins. Voilà ce qu’avouent toutes les accusées, voilà ce qui se trouve dans tous les livres. Mais est-ce que vraiment ces aveux peuvent servir de témoignage suffisant ? Est-ce que les affirmations de mille pauvres femmes, folles ou hystériques, doivent servir de base à l’histoire ? Les historiens de ce siècle sont plus exigeans que les inquisiteurs du temps passé. Nous avons peine à croire que d’immenses assemblées aient pu se tenir pendant, plusieurs siècles, depuis l’an 1300 à Toulouse jusqu’à Tan 1612 en Béarn, sans que personne ait pu surprendre en flagrant délit quelqu’une de ces sorcières. C’est toujours sur leurs aveux qu’on s’appuie pour les condamner, à moins qu’on ne les surprenne le malin courant toutes nues dans la campagne, ce qui indique la démence ou l’hystérie, mais ce qui ne prouve en rien l’existence d’une assemblée du sabbat. Pour admettre ces réunions diaboliques, il faudrait supposer qu’il y avait des imposteurs ayant façonné en bois ou autrement une sorte d’image du diable. Ce diable, dont la peinture est faite différemment par chaque auteur, est ainsi décrit par de Lancre : « Le diable au sabbat est assis dans une chaire noire avec une couronne de cornes noires, deux cornes au cou, une autre au front, avec laquelle il éclaire l’assemblée, les cheveux hérissés, le visage pâle et trouble, les yeux ronds, grands ouverts, enflammés et hideux ; une barbe de chèvre, la forme du col et tout le reste du corps mal taillés, le corps en forme d’homme et de bouc, les mains et les pieds comme une créature humaine sauf que les doigts sont tous égaux et aigus, s’appointant par les bouts, armés d’ongles, et les mains courbées en forme de pattes d’oie, la queue longue comme celle d’un âne. Il a la voix effroyable et sans ton, tient une grande gravité superbe avec une contenance d’une personne mélancolique et ennuyée. »

Faut-il voir dans cette image la fantaisie d’une des nombreuses sorcières que de Lancre a fait brûler (soixante en quatre mois), ou bien la peinture vraie d’une idole de bois sculptée grossièrement par quelque sorcière ? S’il en était ainsi, il serait étonnant qu’on