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dociles ; sachant qu’on a besoin d’eux, ayant un sentiment de dignité parfois mal comprise et d’indépendance que leur donnent des droits politiques égaux à ceux de leurs patrons, ils ne se laissent plus faire aucune observation et quittent une ferme sous le moindre prétexte, sachant bien qu’ils trouveront ailleurs à s’employer. Il n’y a aucun remède à cela, puisque c’est la base même de notre droit public que chacun soit maître de sa personne et responsable de ses actions ; tout ce qu’on devrait pouvoir exiger d’eux, c’est l’accomplissement des engagemens librement consentis. Il faudrait, ainsi que le demande M. d’Esterno[1], qu’on revînt à l’application de la loi sur les livrets, dont l’abandon a tourné au détriment de toutes les industries et particulièrement de l’agriculture. L’ouvrier qui quitte son travail au milieu de la moisson et qui laisse les blés épars dans les champs exposés à pourrir ou à germer, celui qui veut profiter d’un moment de presse pour faire augmenter un salaire accepté à l’avance, cherchent à se soustraire aux obligations d’un contrat et doivent être contraints de remplir leurs engagemens aussi bien que le négociant qui a signé une traite à payer dans un délai déterminé. Le moyen le plus sûr d’arriver à ce résultat, c’est le livret.

Ce n’est pas seulement un sentiment exagéré d’indépendance individuelle qu’on peut aujourd’hui reprocher à l’ouvrier des campagnes, c’est aussi une moindre disposition à l’épargne qu’autrefois. On ne lui fait pas un crime de chercher à se mieux nourrir et à se mieux vêtir, mais de se laisser aller trop souvent à dépenser au cabaret l’argent qu’il aurait pu économiser et qui aurait plus tard assuré son bien-être. Pour combattre cette tendance, à laquelle les déclamations des meneurs politiques ne sont pas étrangères, il faudrait faire comprendre à la population ouvrière, citadine ou rurale, que le travail et l’économie sont les bases fondamentales de toute richesse et que, suivant l’énergique expression de Franklin, ceux qui prétendent le contraire sont des empoisonneurs. De grands efforts sont faits dans cette direction par des hommes dévoués au bien public, à la tête desquels il est juste de citer M. de Malarce, qui, par la création des caisses d’épargne scolaires, cherche à développer l’esprit d’ordre chez les enfans et à leur faire entrevoir la possibilité, par les petites économies accumulées, de se constituer un capital.

La hausse des salaires en agriculture s’est produite spontanément par le seul effet des lois naturelles de l’offre et de la demande, sans qu’il ait été besoin pour l’obtenir de grèves ni d’agitation d’aucune

  1. Enquête sur la situation de l’agriculture. Réponse de M. d’Esterno pour le département de Saône-et-Loire.