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un peu de leur capital, mon conseil est qu’ils abandonnent leur exploitation plutôt que de s’exposer à le perdre tout entier. »

Ce conseil a été suivi, car un grand nombre de fermiers réalisent journellement leurs ressources et s’embarquent pour l’Amérique, où ils espèrent trouver des conditions de production plus favorables que dans leur pays. Cette longue citation, que nous avons dû cependant écourter, prouve que les souffrances de l’agriculture anglaise sont de même nature, quoique beaucoup plus vives encore, que celles de l’agriculture française. Ni les propriétaires, ni les fermiers ne demandent un retour au régime protecteur qui les affranchirait de la concurrence américaine ; ils cherchent d’un commun accord les moyens déparer au mal et de traverser une crise qui ne peut être que momentanée. La plupart des grands propriétaires ont diminué leurs fermages dans une proportion qui varie de 10 à 20 pour 100, et le duc de Bedford a, pour cette année, réduit son revenu de 1,750,000 francs. Peut-être conviendrait-il que les propriétaires français imitassent cet exemple et qu’ils en revinssent également à un taux plus modéré, dût le prix de la terre, aujourd’hui exagéré, revenir au chiffre d’autrefois.


IV

Sans tenir compte des circonstances diverses qui ont pesé sur la situation agricole de la France, les protectionnistes, au lieu de chercher un remède aux souffrances dans les causes mêmes qui les ont produites, ont essayé de persuader aux agriculteurs que leur salut était dans la suppression des traités de commerce et dans l’établissement de droits plus ou moins élevés sur les produits agricoles importés de l’étranger. Beaucoup d’agriculteurs s’y sont laissé prendre sans s’apercevoir que l’agriculture est à peu près désintéressée dans la question des traités de commerce, puisque la plupart de ses produits, notamment les blés et les bestiaux, sont taxés par des lois spéciales, et que, dans cette circonstance, ils n’étaient que des instrumens entre les mains des industriels. Examinons néanmoins leurs doléances et voyons ce qu’il peut y avoir de fondé dans leurs réclamations.

L’alimentation publique était autrefois une des principales préoccupations du gouvernement, dont tous les soins avaient pour objet d’empêcher les disettes et les famines : ce qu’on redoutait le plus était l’insuffisance des récoltes, et loin de chercher à empêcher les blés étrangers d’entrer en France, on en favorisait l’importation par tous les moyens ; quant à l’exportation, elle était autorisée ou interdite suivant que la récolte avait été bonne ou mauvaise, de façon à permettre, dans le premier cas, de se débarrasser de l’excédent de la