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doublé pendant la même période, et que le prix de toutes les denrées s’est accru dans une forte proportion.

Un des grands bienfaits de la liberté commerciale, c’est qu’elle permet à chaque peuple de profiter des avantages naturels dont jouissent tous les autres. Si la récolte a été mauvaise chez nous et bonne en Amérique, nous comblons notre déficit en faisant venir du blé de ce pays, et nous nous trouvons aussi favorisés que ceux qui l’habitent. Quand au contraire la récolte est bonne en France et mauvaise sur d’autres points, nous devenons les pourvoyeurs de ceux qui ont été moins bien partagés. Il résulte de là que les prix tendent à s’égaliser sur les divers marchés du monde et que si les cultivateurs, dans les mauvaises années, ne vendent pas leur blé aussi cher que s’ils n’avaient pas à supporter la concurrence étrangère, par contre, ils peuvent dans les bonnes exporter leur trop plein, sans avoir à craindre l’avilissement des prix. Ils y gagnent en somme plus qu’ils n’y perdent, puisque l’extension des débouchés leur assure toujours un écoulement certain et rémunérateur de leurs denrées. Les pays méridionaux produisent des vins et des légumes dont sont dépourvus ceux du Nord ; n’est-ce pas un bienfait pour ces derniers que de pouvoir en faire venir et doit-on considérer comme une perte pour eux l’argent qu’ils consacrent à se les procurer ? A quoi servirait donc de multiplier les voies de communication, de construire des chemins de fer, de percer des montagnes, de réunir des mers, si ce n’était pour rapprocher les peuples, pour leur permettre d’échanger, aux moindres frais possibles, les produits de leur sol et de leur industrie, pour augmenter le bien-être général et pour les faire profiter tous des avantages particuliers de chacun d’eux ?

Les partisans du régime protecteur ne soutiennent pas absolument le principe de l’isolement en matière commerciale ; mais, s’imaginant qu’un pays peut vendre sans acheter, ils pensent que nous serions beaucoup plus riches si nous exportions nos produits au dehors, tout en fermant nos frontières à ceux de l’étranger. C’est là un paradoxe qui ne supporte pas un moment d’examen ; car au lieu de nous plaindre du bon marché auquel les autres nations peuvent nous fournir leurs denrées, nous devrions désirer qu’elles pussent nous les donner gratuitement.

La plupart aujourd’hui se placent sur un autre terrain ; envisageant la question, non pas au point de vue du consommateur, mais à celui du producteur, ils prétendent que la France est écrasée d’impôts qui grèvent les prix de revient de tous les produits agricoles et manufacturés et qu’il est injuste d’admettre en franchise les objets similaires étrangers qui n’ont pas eu. à supporter les