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tout un peuple qui parle, et qu’il y va du salut commun. » Après ce fier exorde, l’orateur mettait à nu, selon sa promesse, les plaies du royaume et les vices du gouvernement, a Vos officiers, sire, vos soldats, vos gens de finance, comme furieux et vrais parricides, ont déchiré, meurtri, violé et saccagé cette France, notre mère commune, avec une hostilité si barbare que la plupart des terres sont sans culture, les lieux fertiles déserts, les maisons vuides, tout le plat pays dépeuplé, toutes choses réduites en un désordre épouvantable. Et l’on parle d’imposer de nouvelles charges ! Et sur qui ? Sur un pauvre passant, détroussé et mis en chemise ; car c’est ainsi qu’il faut représenter l’état de votre peuple. Il est temps de mettre un terme à ces désordres dont la clameur monte jusqu’au ciel. Autrement, la simplicité et crainte de vos sujets se tournera en audace et vengeance, et la nécessité les portera au désespoir. Sire, l’amour du peuple est le fondement du royaume et la sûreté de votre sceptre. » Voilà comment l’ancienne liberté parlait en face à la royauté coupable, au lendemain d’un guet-apens royal et d’un coup d’état.

Un jour vint, en 1593, où la France, aveuglée et pervertie, travaillée de complots et d’intrigues, fut sur le point de se livrer à l’Espagne et de se jeter dans les bras de l’Inquisition. Il était impossible que cette criminelle folie se consommât sans provoquer, même sous la menace des poignards de la ligue, la révolte des âmes restées fidèles à l’honneur français. Le 20 juin, une décision des états, payant l’or de Philippe II, donnait la couronne à l’infante et à son futur époux. Indignés de cette trahison, les députés de Paris, du Vair en tête, quittèrent la salle et coururent dénoncer le vote de forfaiture au patriotisme du parlement. Toutes les chambres se réunirent pour en délibérer. Jamais question plus grave n’avait été soumise à une assemblée, puisque l’existence même de la nation était en jeu. Une sorte d’accablement produit par la gravité du débat tenait les esprits irrésolus : le conseiller du Vair, au milieu de l’hésitation générale, n’écouta que son cœur de citoyen et brava les périls de la parole. On peut dire que ce jour-là, dans cette discussion solennelle, comparable aux plus célèbres journées oratoires de l’antiquité, notre éloquence politique, égalant la grandeur du sujet, rivalisa avec les plus belles inspirations de l’éloquence grecque ou romaine.

S’autorisant de son titre de député pour intervenir dans le conflit des états et du parlement, l’orateur retraça d’abord avec une nerveuse précision les desseins profonds et les lointains cheminemens de la politique espagnole, cette habile captation de la volonté d’un peuple, cette mainmise insidieuse pratiquée sur son indépendance,