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s’accusant de leur complaisance passée : les plus timides, dit Florimond Rapine, « minutaient leur retour et soupiraient après leurs femmes et leurs enfans ; » d’autre, plus fiers, exhalaient en libres propos leur amertume. « Quelle honte, disaient-ils, quelle confusion à toute la France, de voir ceux qui la représentent en si peu d’estime et si ravilis, qu’on ignore s’ils sont François, tant s’en faut qu’on les reconnoisse pour députés ! Sommes-nous donc autres que ceux qui entrèrent hier dans la salle de nos séances, ou bien si une seule nuit nous a ainsi changés d’état, de condition, d’autorité ! Que veut dire que nous sommes sans chefs ? que signifie cette porte fermée, ce déménagement hâtif et précipité, sinon un congé honteux qu’on nous donne ? Ah ! France plus digne de servitude que de franchises, d’esclavage que de liberté, que tu abuses bien du bas âge de ton roi ! »

Un historien moderne compare cette éloquente, mais vaine indignation des députés de 1614 au simple mot, énergique et puissant, prononcé par Sieyès en 1789, dans une situation assez semblable : « Nous sommes aujourd’hui ce que nous étions hier. Délibérons. » Mais entre ces deux époques, qu’un intervalle de cent soixante-quinze années sépare, quel travail de transformation a du s’accomplir dans le caractère, les mœurs, les croyances et les opinions de l’ancienne France, pour qu’une assemblée politique, frappée d’un coup d’autorité, osât se redresser et revendiquer ses droits ! De combien d’autres changemens profonds cette simple différence, en 1789, ce hardi passage de la plainte inutile à la résistance efficace, était la preuve et le résultat !

Nous avons suivi pendant trois siècles, de 1302 à 1615, les manifestations intermittentes de la liberté précaire de nos assemblées politiques, nous attachant surtout à observer la forme éloquente des inspirations que ces assemblées puisaient dans leur amour du peuple et de la patrie. Nous avons jugé leur rôle, leur influence, beaucoup plus d’après leurs intentions hautement avouées que d’après l’importance des faits accomplis, en leur tenant grand compte de ce qu’elles avaient réclamé ou tenté, et en dégageant volontiers de leur trop réelle impuissance la noble et touchante expression de leurs désirs et de leurs sentimens. Deux causes ont borné les progrès de cette primitive éloquence et l’ont empêchée d’atteindre à la perfection littéraire : le petit nombre et le peu de durée des assemblées ; enfin l’état très imparfait de la langue, de la littérature et du goût public. N’est-il pas étonnant que, dans ces conditions défavorables, des hommes subitement appelés à délibérer sur les plus graves intérêts, à résoudre les plus difficiles questions de la politique intérieure et extérieure, aient si souvent