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doute, la société civile sortie du tout-puissant mouvement de 1789 doit garder son indépendance, l’état doit maintenir ses prérogatives et ses droits : aucun esprit sérieusement politique n’est disposé, que nous sachions, à le contester. Si M. Jules Ferry s’était borné à vouloir réintégrer l’état dans quelques-uns de ses droits aliénés, en fortifiant son action, ses prérogatives de contrôle et de surveillance, ses lois seraient probablement déjà votées. Pourquoi a-t-ii soulevé une si sérieuse opposition qui a réuni, qui réunit encore aujourd’hui des hommes sincères de tous les partis, républicains ou autres, chrétiens et libéraux ? C’est que d’une revendication qui, dans une certaine mesure, était légitime, il a fait une déclaration d’hostilité aussi menaçante pour la liberté que pour l’inviolabilité des croyances, c’est qu’il y a diverses manières d’entendre ce mot de laïque, qui peut être tout simple ou devenir un mot d’ordre de haine et de guerre. Vous voulez que l’état reste laïque, c’est-à-dire qu’il soit indépendant d’un dogme, d’un culte religieux, et c’est en effet son caractère ; mais, s’il ne doit pas s’identifier avec une religion, sous quel prétexte prétendriez-vous l’identifier avec une philosophie de négation, avec des passions de secte ? S’il ne doit pas s’appeler M. Chesnslong, pourquoi devrait-il s’appeler M. Paul Bert ? De quel droit le ferait-on sortir de son rôle d’arbitre souverain et impartial ? On ne fait pas seulement une chose offensante pour une partie considérable de la société française, on sort des données du concordat, ainsi que M. le duc de Broglie l’a montré avec une nette et forte éloquence. Et lorsque les tacticiens, sentant le péril, s’écrient qu’il y a méprise, qu’ils respectent la religion, on est bien un peu tenté de demander : Qui trompe-t-on ici ? Sans doute on n’est pas avec ce conseiller municipal de Paris qui réclamait dernièrement la confiscation et l’aliénation des églises ; la vérité est qu’on fait campagne avec ceux qui ont pour système de chasse : l’influence religieuse des écoles et qui prétendent faire de l’éducation un instrument de propagande. On ne se sépare qu’à demi des utopistes qui proposaient l’autre jour la création d’internats de l’état pour les jeunes filles elles-mêmes, et il a fallu que M. Bardoux, avec autant de bon sens que de finesse et de tact, vint démontrer le danger d’une telle création. Il faut absolument avoir la femme laïque et républicaine, au risque de n’avoir plus l’aimable femme française !

Tout cela, après tout, se tient, tout procède des mêmes passions de parti, et quand on demande pourquoi le pays s’inquiète et commence à avoir des doutes, la cause est là, dans toutes ces tentatives, ces fantaisies, qui ne sont pas, en effet, toujours rassurantes. C’est maintenant plus que jamais au gouvernement de savoir s’il veut se laisser submerger par ce courant ou s’il entend s’arrêter, s’il tient enfin à montrer que la république, tout en réalisant les progrès légitimes, peut rester d’accord avec les croyances, les intérêts, les traditions d’un pays qui n’a point cessé, grâce à Dieu, d’être la vieille France.