Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/729

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous attirent un châtiment mérité ! Je n’aurais qu’à répéter vos belles paroles à certaine personne de mes amies, et lui faire connaître combien il vous paraît naturel de mener de front, — et de quel front ! — l’amour et le mariage dans un attelage à la Daumont… Oh ! les hommes ! Implacables pour nous, et d’une indulgence impudente pour eux-mêmes, voilà comme ils sont tous, sans en excepter le divin Alighieri qui, époux infidèle et volage, n’en flétrit pas moins la pauvre marquise d’Este pour avoir convolé en secondes noces, et la laisse accabler du haut du ciel par son premier mari, dans un langage qu’une femme ne saurait répéter…

LE MARCHESE ARRIGO :

Per lei assai di lieve si comprende,
Quanto in femmina fuoco d’amor dura,
Se l’occhio o il tatto spesso nol raccende[1].

L’ACADEMICIEN. — Rendons du moins cette justice à l’auteur de la Divine Comédie qu’il n’a jamais fait mystère de ses faiblesses amoureuses, et que ce sont ses rigides commentateurs seuls qui s’obstinent à lui maintenir, malgré lui, le prix de vertu. Déjà, dans la Vita nuova, il avoue que, peu de temps après la mort de Béatrice, il a été sur le point de trouver de la consolation auprès d’une gentil donna qui, « du haut d’une fenêtre, » observait ses traits avec tant de compassion « qu’il semblait que la pitié tout entière fût en elle. » C’est à cette personne que sont même adressés les sonnets peut-être les plus beaux et les plus touchans de tout le recueil, et il suffit de les lire avec un esprit dégagé de formules pour se convaincre que cette dame compatissante était bien une femme en chair et en os, et non pas une allégorie de la philosophie, ainsi que le croient tant d’érudits, sur la foi d’un passage obscur du Convito. Une lettre écrite par lui, dans les premières années de l’exil, probablement en 1307, parle des ravages qu’a exercés dans son cœur une autre passion pour une dame du Casentin : cet amour, dit-il, « a détruit, chassé, et enchaîné » tous les autres sentimens dans son sein, lui a ravi son « libre arbitre » et anéanti « la louable résolution qu’il avait formée de renoncer aux femmes. » À cinquante ans, il subit encore les charmes d’une nouvelle enchanteresse, de la Gentucca de Lucques ; et c’est dans le Purgatoire, à quelques pas de ce Paradis terrestre où il doit revoir sa Béatrice, qu’il se fait prédire par une âme sympathique que la belle Lucquoise lui rendra encore chère une cité dont tant de gens parlent en mal…

LE VICOMTE GERARD. — Tiens ! elle est originale, cette idée de se faire recommander ainsi par une bonne âme du Purgatoire,

  1. Purgat., VIII, 76-78.