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des voix intérieures et connu le véritable amour, qui oserait en douter ? Mais la note une fois saisie, ils l’ont reproduite et variée avec une grande liberté, selon l’inspiration de leur génie et même de leur caprice, sous l’influence aussi des idées de leur temps, de ces idées de galanterie chevaleresque notamment si dominantes dans l’époque. Vérité et fiction, on fera toujours bien d’appliquer à la vie d’âme de ces poètes de l’amour les deux mots que Goethe a eu la candeur de donner pour titre à son autobiographie.

C’est grâce précisément à ce mélange de vérité et de fiction, grâce à son caractère à la fois impersonnel et intime, à ses qualités beaucoup plus musicales que plastiques, que la poésie amoureuse des Italiens est devenue si universelle et qu’elle a fait les délices de tant de siècles passés, comme elle en charmera encore tant d’autres à venir. Je suis certes loin de nier la puissance et le pathétique d’un Byron, d’un Musset et de tel de nos modernes ; j’admire comme tant d’autres leur art de faire parler à la muse amoureuse le langage de nos vagues aspirations et de nos profonds déchiremens. Qui sait cependant si ce langage ne paraîtra pas bien étrange à des générations plus reposées, moins tourmentées que la nôtre ? Qui sait si ces accens farouches sur la liberté opprimée ou déshonorée, sur l’esclavage de l’Hellade, sur les vilenies du cant et les bassesses des grands, ou ces plaintes amères de ne pouvoir croire, « d’être venu trop tard dans un monde trop vieux ; » si, en un mot, toutes ces apostrophes qui nous transportent maintenant ne leur sembleront pas fort déplacées dans un chant d’amour ? Ne leur feront-elles pas même une impression de bizarrerie tout autrement grande que ne nous font aujourd’hui les bisticci et les travers allégoriques des sonnettistes ? Des temps viendront peut-être, — que dis-je ? ils viendront sûrement, — où l’humanité ne connaîtra plus ces problèmes poignans qui nous agitent et nous déchirent à présent, où elle les aura heureusement résolus ou définitivement écartés. Je m’imagine, dans ces temps, un jeune homme touché par la flèche de ce divin espiègle qui, lui, ne vieillit ni ne change pas ; je m’imagine ce jeune homme cherchant dans les grands maîtres de la poésie le miroir de son âme, l’expression harmonieuse du sentiment qui fait palpiter son cœur. Je crains fort alors que les strophes d’un Byron ou d’un Musset ne réussissent bien plus à l’étonner qu’à le ravir, et je ne parierais pas que, rencontrant à la fin tel sonnet de Pétrarque ou telle canzone du Tasse, il ne s’écrie : O Italiens, vous seuls, vous compreniez l’amour !..

LE VICOMTE GERARD. — Et moi, d’ores et déjà je pense comme ce bon jeune homme de l’avenir : O Italiens, vous seuls vous comprenez l’amour ! Vous seuls, vous savez lui demander tout ce qu’il peut donner, et rien que ce qu’il doit donner ! Vous seuls, vous