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Rouen, qui déterrèrent le corps de Picard et brûlèrent vivant Boullé sur la simple dénonciation de la folle.

Qu’on en juge d’ailleurs, et qu’on dise si ce n’est pas ici le langage d’une aliénée. « Un jour qu’il (Picard) me fit communier à la grille ; il me toucha du doigt au sein, par-dessus la guimpe, en me donnant la sainte hostie, et, au lieu de prononcer les paroles usitées en cette action sainte, il me dit : « Tu verras ce qui t’arrivera. » En effet, contrainte par des agitations intérieures d’aller au jardin, je m’assis sous un mûrier. Alors le démon m’apparut sous la figure d’un chat de la maison, qui mit deux de ses pattes sur mes genoux, les deux autres vis-à-vis de mes épaules, et approchant sa gueule assez près de ma bouche, avec un regard affreux, sembloit me vouloir tirer la communion. Si la sainte hostie me fut tirée ou non, je n’en sais rien. Le diable l’assure en quelqu’un de mes papiers… La nuit prochaine j’entendis de mon lit une voix comme de quelqu’une des religieuses qui m’appeloit. Il pouvoit être près de onze heures ; je me lève et m’en vais vers la porte de ma cellule, et incontinent je me sens enlevée, sans savoir par qui ni comment, perdant toute connoissance jusqu’à ce que je me vis en certain lieu qui m’est inconnu, où il y avoit plusieurs prêtres et quelques religieuses, et me trouvai auprès de Picard. » Ainsi, nous retrouvons l’assemblée nocturne, le sabbat où se réunissent des prêtres et des religieuses, et cela, au milieu du XVIIe siècle, à l’insu de la maréchaussée et de la population, aux portes d’une ville aussi fréquentée que Louviers. Magdeleine affirme que le sabbat existe. Et pourquoi en douterait-elle puisqu’elle y a été ? On estime par la valeur de cette affirmation ce qu’il faut penser des affirmations des vieilles sorcières dans le siècle précédent. Quoi ! le sabbat serait une assemblée populaire, une sourde révolte des paysans et du clergé inférieur contre la féodalité ? Au temps de Magdeleine Bavent, il n’y avait certes point de sabbat, et cependant, tout comme les magiciennes qui l’ont précédée, elle décrit cette diabolique cérémonie. « Je n’ai jamais su la manière de me faire enlever. Mes papiers, — comme bien des malades, Magdeleine a la manie d’écrire, — montrent évidemment que ç’a été par l’ordre et le pouvoir de Picard. Et quand j’aurois toutes les plus grandes envies d’aller au sabbat, il me seroit impossible, et je ne saurois par quel bout m’y prendre. Au reste, on me rapportoit de même qu’on m’avoit emportée, et je me retrouvois en ma chambre après une beure et demie ou trois heures, et me remettois dans le lit. Le lieu où se faisoit le sabbat m’est inconnu. Je n’en ai pas même discerné les particularités ; seulement me souvient-il qu’il est plutôt petit que grand, qu’il n’y a point de sièges pour s’asseoir, et qu’il y fait clair à cause des chandelles posées sur l’autel en façon de