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On comprend avec quel intérêt tout particulier la forteresse de Krœchoj, au sommet de l’Irr-Kajpij, fut visitée par les voyageurs. Ils y virent les restes de dix maisons onkilonnes : elles étaient en grande partie sous terre et recouvertes de tourbe reposant sur des côtes de baleines. Chaque maison contenait trois ou quatre chambres faisant face au nord ; au sud se trouvait un corridor bas et étroit dont les parois comme celles des chambres étaient en ossemens de baleines rangés verticalement et soutenant les poutres du plafond. Près de ces demeures, il fut pratiqué des fouilles ; on trouva sur une éminence une mâchoire de baleine longue de 20 pieds et remplie d’os de différens animaux, ainsi que de bois de rennes. Les explorateurs visitèrent aussi quelques anciennes demeures au sud de la montagne, à l’endroit où Krœchoj se défendit contre l’errim vengeur. Ayant entrevu des ossemens mêlés à des crânes d’ours et de morses, ils voulurent s’en approcher, mais ils en furent empêchés par les Tchouktchis ; c’était là le lieu sacré où la tribu déposait ses morts ; ceux-ci ne sont pas ensevelis, et des bandes de loups les dévorent. Le survivans, néanmoins, déposent à côté des cadavres, pour honorer leur mémoire, des bois de rennes, des crânes d’ours et de morses.

Comme dès le commencement d’octobre, la glace fut résistante, les rapports devinrent presque journaliers entre les passagers de la Vega et les indigènes. Si les premiers cherchaient à voir ce qui se passait sous les tentes de Tchouktchis, les seconds étaient fort curieux de connaître les usages européens ; ils ne manquaient jamais de venir à bord pour demander à tout instant du pain ou du tabac. Les tentes de ces peuplades ont la forme d’un chaudron couché dont l’entrée serait à l’est ; elles sont faites de peau et spécialement de peau de renne ; elles sont doubles. La tente extérieure entoure une tente plus petite, de forme cubique, qui, pendant la saison froide, sert de demeure. Lorsque les deux abris sont bien conditionnés, on jouit dans le plus petit des deux d’une température fort élevée, pendant que, sous la plus grande, il fait parfois un froid de 40 degrés centigrades. Les Tchouktchis couchent généralement tout nus sous la tente intérieure ; les chiens avec les provisions sont relégués dans la seconde. Comme, au moment où la Vega commençait son hivernage, l’été arctique durait toujours, les Tchouktchis ne se renfermaient point encore dans leur refuge d’hiver. Sous la tente extérieure pétillait presque toujours un bon feu sur lequel se fait la cuisine au moyen d’une énorme marmite en fer. Autour du brasier, toute la famille est couchée. La fumée enveloppant la partie inférieure de la tente et ne s’échappant que lentement par l’entrée, il fallait absolument