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UN
SOCIALISTE CHINOIS
AU XIe SIECLE

Dans ce moment où le monde, les yeux fixés sur la Russie, suit avec une inquiète curiosité les progrès du mouvement nihiliste, il nous a paru intéressant de montrer, dans l’histoire peu connue d’un empire asiatique qui renferme le tiers de la population du globe, un mouvement identique, des théories, des formules et des faits analogues. En Chine, il y a huit siècles, comme en Russie aujourd’hui, une secte, mystérieuse au début, décrétait et frappait dans l’ombre ; ses obscurs oracles prédisaient la destruction systématique universelle, le chaos et le néant, but suprême auquel tendaient ses efforts. Puis la négation impuissante et stérile aboutissait à un élan socialiste auprès duquel les tentatives faites en Europe semblent un jeu d’enfans. Les nihilistes russes et les socialistes allemands ont eu des précurseurs et des maîtres ; sous la dynastie des Song, on a proclamé en Chine des axiomes nihilistes dont l’audace dépasse de beaucoup celle des Russes de nos jours. Entre les idées socialistes de Wang-ngan-Ché, le grand réformateur asiatique, et celles des niveleurs du XIXe siècle, l’analogie est frappante ; mais le réformateur chinois a pour lui l’avantage d’être plus clair, plus logique, et d’avoir su passer, légalement et par la seule force de son génie, du domaine de la théorie à celui de la pratique.

Ses copistes l’imiteront peut-être, mais ils n’iront certainement pas plus loin et n’arriveront pas à un résultat plus satisfaisant. Les mêmes causes produiront les mêmes effets. Des siècles d’intervalle, un continent différent, une origine, des mœurs et des coutumes opposées peuvent modifier l’apparence d’une fraction de l’humanité, mais ne changent absolument rien à son fond même. Elle est en Europe ce qu’elle était en Asie, soumise aux mêmes lois primordiales, assujettie aux mêmes exigences, en proie aux mêmes besoins, mue par des passions identiques. Aujourd’hui, comme alors, il faut à l’homme la nourriture du corps et celle de l’âme ; il lui