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écrivait des lettres d’amour, on lui répondait, et il les reproduisait telles quelles dans son prochain roman. « Quand j’eus cessé de voir Élise, elle en fut au désespoir, comme on l’a vu dans ses lettres, imprimées dans la Malédiction paternelle. » C’est ce que j’appelle du document, que ces lettres d’Élise ! Il instituait de véritables expériences. « J’ai sacrifié quelquefois au plaisir, mais je puis répéter que toutes ces dépenses avaient un caractère d’utilité. J’étais forcé de m’instruire pour écrire sur certaines matières, et l’on ne peut être parfaitement instruit qu’en faisant soi-même. » Voilà expérimenter ! M. Zola est loin encore de son modèle ! Descendra-t-il jamais jusqu’à lui ? Restif, sous le manteau couleur de muraille dont il s’enveloppait, était vraiment l’aventurier du naturalisme, j’ai grand’peur que M. Zola n’en soit que le Prudhomme.

Il serait déloyal pourtant d’accabler M. Zola sous une comparaison. Les naturalistes sont à la fois très près et très loin de la vérité. C’est une question de limites et de nuances, mais parlez donc à ces messieurs de nuances et de limites !

M. Zola, d’abord, qui se plaint souvent qu’on ne veuille pas le comprendre, est-il bien assuré, toujours, de comprendre les autres ? Ne se pourrait-il pas qu’il fît souvent le coup de poing contre des adversaires imaginaires et qu’il dépensât une vigueur, qu’il emploierait autrement beaucoup mieux, à n’enfoncer que des portes ouvertes ? Le grand malheur de M. Zola, c’est de manquer d’éducation littéraire et de culture philosophique. Ici, dans le camp des littérateurs sans littérature, il est à la première place. Il produit beaucoup, il pense quelquefois, il n’a jamais lu. Et cela se voit. C’est une réflexion qu’on ne saurait s’empêcher de faire quand on l’entend. qui demande à grands cris que l’on discute avec lui la question de l’esprit et de la matière, du libre arbitre et de la responsabilité morale, ou des milieux encore et de l’hérédité physiologique. Comment quelque charitable conseiller ne lui a-t-il pas fait comprendre que chaque chose a son temps et son lieu, que ces sortes de problèmes, si complexes, si délicats, ne s’agitent pas sur le terrain du Ventre de Paris ou de l’Assommoir, et qu’à propos des Rougon-Macquart ou des Quenu-Gradelle, on ne met pas les gens en demeure de choisir entre le système de la prémotion physique et celui de la science moyenne ou conditionnée ? Que nous importe en effet ? Qu’y a-t-il de commun entre l’indéterminisme, le déterminisme et le roman ou l’art dramatique ? Nous croyons, nous, que tout homme se fait à soi-même sa destinée, qu’il est le propre artisan de son bonheur et le maladroit ou criminel auteur de ses infortunes : c’est une manière de concevoir la vie. M. Zola croit au contraire, selon le mot fameux, « que le vice et la vertu sont des produits comme le vitriol ou le sucre » et que nous sommes une matière molle que les circonstances façonneraient au gré du hasard de leurs combinaisons : c’est une autre manière de concevoir la vie. Qu’en sera-t-il davantage ? Vous écrirez