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d’avoir traité Théophile Gautier comme il n’a pas craint de le faire. Je ne sache pas du moins une description de M. Zola qui ne soit dans la manière de Théophile Gautier : « La lumière du gaz et des bougies glissait sur les épaules satinées, et lustrées de leurs mille reflets,.. les yeux papillotaient, bleus ou noirs, les gorges demi-nues se modelaient hardiment sous les blondes et les diamans… les petites mains gantées de blanc se posaient avec coquetterie sur le rebord rouge des loges. » Pourquoi cette description ne serait-elle pas de Théophile Gautier ? Mais celle-ci, pourquoi ne serait-elle pas de M. Zola ? « Les rangées de fauteuils s’emplissaient peu à peu, une toilette claire se détachait, une tête au profil fin baissait son haut chignon… de jeunes messieurs debout à l’orchestre, le gilet largement ouvert et un gardénia à la boutonnière, braquaient leurs jumelles du bout de leurs doigts gantés. » Et, de fait, la première est bien de Théophile Gautier, comme la seconde est de M. Zola. Qu’il cesse donc de renier ses maîtres ! De grands mots, des épithètes voyantes, des métaphores bizarres, des comparaisons prétentieuses font tous les frais du style de M. Zola : « Sabine devenait l’effondrement final, la moisissure même du foyer, toute la grâce et la vertu pourrissant sous le travail d’un ver intérieur. » Il y a je ne sais quoi de plus empanaché dans les vers de Tragaldabas ou dans la prose des Funérailles de l’honneur : il n’y a rien de plus étrange.

Le grand danger de cette manière d’écrire, qui déforme les objets, c’est qu’elle déforme les sujets aussi. Comme on écrit, on pense ; il n’y a rien de plus banal et cependant il n’y a rien qui soit de notre temps plus profondément ignoré. L’idée première de l’incroyable roman de M. Zola était juste. M. Zola voulait nous montrer dans un certain monde parisien la toute-puissance corruptrice de la fille, et, sous l’empire de ses séductions malsaines, famille, honneur, vertu, principes, tout en un mot, croulant. Là-dessus il a fait de sa triste héroïne je ne sais quel monstre géant « à la croupe gonflée de vices, » une énorme Vénus populaire, aussi lourdement bête que grossièrement impudique, une espèce d’idole indoue qui n’a seulement qu’à paraître pour faire tomber en arrêt les vieillards et les collégiens et qui, par instans, se sent elle-même « planer sur Paris et sur le monde. » Remarquez-le bien : je ne pose pas la question de moralité ou d’immoralité : le public l’a déjà tranchée. Je ne parle que de « réalisme » et de « naturalisme, » et je dis que M. Zola n’a pas l’air de se douter qu’une pareille créature mettrait en fuite ce baron Hulot lui-même, dont il a visiblement prétendu nous donner le pendant.

Il n’y a qu’un côté par où les ouvres de M. Zola ressemblent à ses doctrines ; j’entends la grossièreté voulue du langage et la vulgarité délibérée des sujets. Lui qui a tant de u souci de s littératures étrangères, » il a médité ce conseil d’un maître dont je lui laisse à retrouver le nom.