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de l’abbé Maury sur celle de Target, et Buffon la prenait pour confidente de la colère que lui causait l’obstination de Bailly à voter pour Sedaine.

De l’information à l’influence il n’y a souvent pas loin, et il était inévitable qu’on finît par lui attribuer sur les élections académiques elles-mêmes une action sinon égale, au moins comparable à celle autrefois exercée par Mme de Lambert, dont le marquis d’Argenson disait qu’on n’était guère reçu à l’Académie qu’on ne fût présenté chez elle ou par elle. Plus d’un candidat inquiet dut également se demander s’il avait pour lui le salon de Mme Necker, et, par quelque démarche auprès de la maîtresse de la maison, s’efforcer d’obtenir cet indispensable appui. Ce fut le cas de Dorat, le fécond et malheureux Dorat, dont cinq comédies, six tragédies, cinq poèmes, cinq romans et une quantité innombrable de pièces plus que légères, ont à peine sauvé le nom de l’oubli. Lorsqu’il posa sa candidature à l’Académie, Dorat rencontra parmi ses ennemis les plus déclarés quelques-uns des encyclopédistes qui fréquentaient habituellement le salon de Mme Necker. Ce fut donc à elle qu’il s’adressa pour triompher de leurs préventions, et si je cite en entier cette lettre, c’est qu’elle montre assez bien le crédit littéraire dont moins de six ans après son mariage était arrivée à jouir l’ancienne présidente de la petite académie de la Poudrière :


J’ai tant confiance dans vos bontés, madame, que je ne crains point d’y avoir recours dans cette occasion. Il me seroit plus doux de vous devoir qu’à toute autre, et voilà pourquoi je me hasarde avec une sorte de sécurité. Vous connoissez beaucoup d’académiciens ; ces messieurs ont autant de déférence pour votre goût que d’estime pour votre personne, et si vous vouliez appuyer auprès d’eux le désir que j’ai d’être leur confrère, je suis sûr que leurs préventions ne tiendroient pas contre des démarches que vous auriez l’air de favoriser. Voilà douze ans que je m’occupe et que le public accueille mes travaux avec bienveillance. Ma famille m’a fait quitter une carrière où je serois très avancé aujourd’hui : j’ai cru trouver du dédommagement dans les lettres et suppléer par elles à l’état que j’avois perdu. Point du tout ; j’ai rencontré des oppositions cruelles et dont je ne peux deviner le principe ; des mœurs, de l’honnêteté, quelques autres avantages qu’on ne cite pas, quand ils sont seuls, mais qui doivent valoir par le reste, tout cela n’est compté pour rien ; on évoque mes torts, on affoiblit mes titres, et l’on a été à la veille de me préférer un homme qui n’est célèbre que par des noirceurs, des chutes et une fausseté d’autant plus coupable qu’elle a les dehors de la franchise. Je vous ouvre mon âme, elle est vraie, et la vôtre l’est trop, madame, pour se refuser à l’évidence