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car il nous fait espérer que M. Détaille nous donnera bientôt quelque grande toile avec des figures de tiers de nature, où il s’élèvera du genre militaire à l’histoire militaire.

Il n’y a pas moins de cinquante portraits à l’exposition de la place Vendôme. Les deux meilleurs sont le portrait d’enfant et le portrait de femme de M. Carolus Duran. Debout, de face, le baby, vêtu d’une blouse de velours noir à manches de satin noir, tient dans ses bras un petit griffon écossais qui se laisse faire d’assez bonne grâce. L’opposition des noirs avec le rideau pourpre qui forme le fond est du plus beau et du plus franc effet de couleur. Le faire des mains et des jambes nues est sommaire, mais la petite tête aux grands yeux étonnés est vivante et charmante, et l’ensemble est superbe. Le portrait de Mme de B… est pourtant d’une qualité plus achevée. La jeune femme porte une robe blanche unie. Le corps se présente de face, les bras tombant gracieusement et les mains se réunissant au-dessous de la ceinture pour tenir un bouquet de roses. On ne saurait choisir une attitude qui ait plus de grâce et plus de naturel. La robe est brossée avec la maestria habituelle de Carolus Daran ; empreint d’une rare distinction et modelé avec autant de délicatesse que de puissante fermeté, le visage a toute l’apparence de la vie. On a été bien sévère pour le portrait de deux enfans de M. Bonnat. Il y a peut-être à cette sévérité une cause autre que les défauts du tableau. Nous, public et critiques, nous sommes sous la puissance de M. Bonnat ; nous ne sommes nullement sous le charme de M. Bonnat. Il est de ceux qui s’imposent, non de ceux qui séduisent. Aussi on ne lui passe aucune défaillance. On est presque heureux de le trouver en faute, et c’est avec plaisir qu’on constate ses sommeils, pour reprendre une expression d’Horace. Certes, cette peinture massive à force d’être solide, ces hachures et ces empâtemens, ces tons plâtreux ne sont pas faits pour rendre les chairs potelées, les membres délicats, les formes encore indécises et les fraîches carnations de l’enfant. De plus, le bas du tableau est mal composé. Le côté gauche de la toile est vide, et l’artifice du peintre qui a jeté là une draperie ne suffit pas à le remplir ; les jambes croisées de la petite fille forment un X parfait des plus disgracieux. Toutefois le haut du groupe est excellent. La poitrine blanche fouettée de rose du petit enfant, sa tête souriante, le visage expressif de la petite fille, ont un relief surprenant. Une telle peinture peut ne pas plaire, mais on ne peut nier la puissance d’un tel peintre. Si on regardait la tête d’enfant de M. Jalabert qui est placée tout à côté du portrait de M. Bonnat, on reconnaîtrait plus de qualités à celui-ci. D’autres portraits méritent un regard ; le portrait de M. X… par M. Roll, d’une touche trop brutale, mais plein de vie et de couleur ; deux bons portraits d’hommes, d’une correction un peu froide, dus au pinceau savant de M. Émile Lévy ; un joli portrait