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n’ont été élus que grâce à la coalition des 363 et aux événemens qui l’ont faite. La consigne rigoureusement observée fut de ne pas se diviser devant l’ennemi commun, dans cette lutte décisive soutenue contre le gouvernement du 16 mai. Voilà la première cause de la complaisance des groupes modérés de gauche pour une politique qui n’est pas tout à fait la leur : c’est l’union faite sur le champ de bataille et maintenue jusqu’ici dans le parlement par une communauté d’intérêts électoraux plutôt que de vues politiques.

Il est une autre cause, plus générale encore, et plus puissante, qui explique l’apparente unité de la majorité républicaine de la chambre des députés : c’est la passion de la lutte électorale. Déjà, en 1876, cette lutte avait été fort vive, et les partis ne s’étaient pas épargné les calomnies et les injures. Le gouvernement, le clergé, la magistrature, les agens des diverses administrations n’étaient pas restés étrangers à ces élections. On le vit bien, après la bataille, par les rancunes et les colères des vainqueurs, qui déjà à cette époque n’ont pas manqué, dans les débats parlementaires, une seule occasion de se plaindre du clergé et de la magistrature, de les menacer des épurations que l’on pratique et des réformes que l’on propose en ce moment. Aux élections de 1877, ce fut bien autre chose. On avait brusquement renvoyé ces députés devant leurs électeurs, et il leur fallait descendre dans une furieuse mêlée, où le gouvernement tout entier, depuis le président de la république jusqu’au dernier garde champêtre, s’était jeté tête baissée, avec le clergé, avec la magistrature, avec toutes les administrations, pour soutenir un combat que des deux côtés on sentait devoir être mortel au parti vaincu. Voilà le secret des haines, non pas seulement des radicaux et des jacobins de la chambre des députés, mais encore de vrais et de purs conservateurs qui n’ont pas oublié les périls, les amertumes, les angoisses d’une lutte dont ils étaient sortis victorieux, mais tout émus et tout meurtris des coups reçus et donnés. Voilà pourquoi tant de gens, au parlement, qui seraient plutôt sympathiques qu’hostiles au clergé et à la magistrature, s’associent néanmoins à une campagne entreprise contre ces grandes institutions.

Ces républicains modérés reviendront-ils à la politique de leur goût et de leur tempérament? Peut-être, si l’on veut les entraîner trop loin; certainement, le jour où ils verront des signes non équivoques de mécontentement dans le pays. On pouvait espérer que nos députés en découvriraient déjà quelques symptômes dans le malaise et l’inquiétude qui commencent à gagner les masses. Mais il paraît qu’il n’ont encore rien vu de pareil. Tout au contraire, ils nous sont revenus avec des avertissemens sur la mollesse et la lenteur avec lesquelles le gouvernement procède à l’épuration des administrations