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proposèrent de déclarer qu’une guerre entre la France et l’Allemagne serait une guerre civile au profit de la Russie. Les motifs de la résolution votée sont à noter : « Considérant que la justice doit être la règle des rapports entre les groupes naturels, peuples et nations, aussi bien qu’entre les citoyens, — que la cause primordiale de la guerre est le manque d’équilibre économique, — que la guerre n’a jamais été que la raison du plus fort et non la sanction du droit, — qu’elle fortifie le despotisme et étouffe la liberté, — que, semant le deuil et la ruine dans les familles, la démoralisation sur tous les points où les armées se concentrent, elle entretient et perpétue ainsi l’ignorance et la misère, — que l’or et le sang des peuples n’a jamais servi qu’à maintenir entre eux les instincts sauvages de l’homme à l’état de nature, — le congrès international des travailleurs, réuni à Bruxelles, déclare protester avec la plus grande énergie contre la guerre. » Le congrès avait même la naïveté de croire que les ouvriers pouvaient empêcher toute guerre nouvelle. Voici comment : « Le corps social ne saurait vivre si la production est arrêtée pendant un certain temps. Il suffirait donc aux producteurs de cesser de produire pour rendre impossibles les entreprises des gouvernemens personnels et despotiques. » Ainsi, en cas de menace de guerre, grève universelle : voilà le remède. Singulier oubli des nécessités de la condition de l’ouvrier. S’il cesse de travailler, sans doute la société périt, mais c’est lui qui meurt le premier, car il vit au jour le jour. L’idée de la grève universelle qui reparaît de temps à autre est une absurdité.

Sur la question des machines, les débats furent assez confus. Les délégués ne pouvaient, comme d’ignorans manœuvres, condamner l’emploi des engins perfectionnés que les découvertes scientifiques mettent à la disposition de l’industrie. Au contraire, ils se piquaient volontiers de n’avoir d’autre culte que celui de la science. Proscrit-on la machine, il faut logiquement briser la charrue, la navette, la bêche, en un mot tous les outils, et retourner à l’âge de la pierre. « Sans machines, dit Scheppeler, de Mayence, l’homme est incapable de subvenir à ses besoins. » Eccarius, de Londres, fait remarquer que « si les machines jusqu’à présent ont été un instrument de concentration pour le capital, d’autre part leur développement crée les conditions nécessaires pour la substitution d’un système vraiment social de coopération au système actuel de salariat. » Cependant la majorité du congrès paraît convaincue que l’emploi des machines a pour effet de diminuer la demande des bras et par conséquent de réduire les salaires, tandis que tous les faits constatés jusqu’à ce jour prouvent le contraire. M. Tolain voulait empêcher tout vote. « La question n’est pas mûre,» disait-il. Il se berçait encore de la chimère proudhonienne du crédit