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impuissans dans le royaume ; aussi n’avons-nous rien trouvé de plus inconséquent que les paroles de blâme que se permit Mme de Staël quand elle écrivit à propos de l’émigration : J’applaudis aux royalistes qui ont fait la guerre sans sortir de France; je condamne ceux qui, après être sortis de France, y sont rentrés avec les étrangers. »

Les princes allemands se trouvaient dans un cruel embarras. Il leur était difficile d’expulser des princes du sang, des réfugiés de haut rang, dont ils partageaient les opinions, les rancunes, dont la cause était solidaire de la leur ; et pourtant ils ne se dissimulaient pas qu’en tolérant sur la frontière des rassemblemens hostiles au gouvernement officiel de la France ils violaient le droit des gens et s’exposaient à la nécessité de se déclarer avant d’être prêts. Il résultait de là que les Français fugitifs étaient une double gêne, et pour les dissidens dont ils brusquaient l’opinion, et pour les gouvernemens compromis par leurs menées. Leurs protecteurs naturels se trouvaient associés avec leurs adversaires dans une commune méfiance contre eux; il n’est sorte de tracasseries, de persécutions que ne subirent les émigrés disséminés dans les provinces frontières.


On se fera difficilement une idée, dit Chambeland, de ce qu’il en coûta de soins, de peines, de négociations, de correspondances, de sacrifices en tous genres au prince de Condé pour faire tolérer sur les bords du Rhin le séjour provisoire des défenseurs de tous les trônes et de tous les potentats; car c’était combattre pour eux en général que de s’armer pour Louis XVI. Trois fois les régences de Worms et de Spire lui notifièrent d’avoir à évacuer le territoire; l’électeur de Mayence mettait une scandaleuse rigueur dans l’application de je ne sais quels règlemens sur l’entrée des étrangers dans ses états, et l’électeur de Trêves lui-même, en même temps qu’il prêtait secrètement aux princes de fortes sommes et un appui précieux, rendait ostensiblement des ordonnances prohibitives et coercitives contre les malheureux Français expatriés. Un tel vertige est incompréhensible; mais il se produisit des bizarreries plus étonnantes encore.


Tristes épaves de l’équivoque, les émigrés flottèrent ainsi sur la frontière entre les proscriptions des républicains et les rebuffades des Allemands. Les princes badois et bavarois n’osaient-ils pas planter aux carrefours des routes les poteaux dont parle M. de Tilly et sur lesquels on lisait cet insultant avis : Il est défendu aux émigrés et aux vagabonds de passer outre?

Pour sortir de cette situation fausse, il était devenu indispensable aux émigrés de prendre leur revanche de l’arrestation du