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Dès que le comte de Viosménil s’y trouvera établi, il nous dépêchera un courrier en toute diligence pour nous en donner avis, et un autre en même temps à M. le prince de Condé pour qu’il puisse y arriver le plus tôt possible.

A Coblentz, le 24 de décembre 1791.

LOUIS-STANISLAS-XAVIER, CHARLES-PHILIPPE.


Le prince de Condé et M. de Vioménil eurent seuls, dès lors, la direction de l’opération et en assumèrent toute la responsabilité. L’e prince recommandait à son lieutenant le secret absolu sur les négociations qui traînaient depuis si longtemps avec les frères du roi. « Ni le cardinal ni l’abbé ne sont dans la confidence, écrivait-il ; si vous les voyez, vous leur direz que la garnison nous a proposé ce projet, ce que nous avons accepté, promettant d’y aller dès qu’ils seraient maîtres de la ville et de la citadelle. Ne parlez point de Polignac, » ajoutait-il. Comme on avait besoin de communications promptes, faciles et sûres, et qu’il fallait prévoir les surprises et les trahisons, on convint d’un chiffre connu seulement de trois personnes : Condé, Vioménil et Thessonnet. Ce chiffre, écrit de la main du prince, consistait simplement en quatorze noms pour lesquels on avait choisi des équivalens. Ainsi Strasbourg s’écrivait Amiens ; Polignac, Crésus ; le cardinal de Rohan, Grotius; l’abbé d’..., Scipion; Saladin, Titus; Diétrich, Néron; Luckner, Mustapha; la citadelle, Calais. Au lieu de dire la garnison, on écrivait le fauteuil; les chefs de corps se déguisaient sous le nom de pistaches ; les luthériens étaient des Saxons, les catholiques des jardiniers, les amis du roi des chiens, le club l’enfer.

L’insertion dans ce document du nom de Diétrich pourrait faire supposer que le maire de Strasbourg était en communication avec M. de Thessonnet, si le surnom de Néron n’était à lui seul un indice suffisant de la préoccupation malveillante du rédacteur du chiffre. Diétrich, royaliste constitutionnel, était à ce titre suspect aux émigrés, à ce point qu’on proposa de s’en défaire par un meurtre[1], ainsi que l’établissent les papiers en notre possession. Saint-Just en réponse à une interpellation du club des Jacobins, attribue au commandant de place Dietch l’honneur d’avoir sauvé la ville des complots et de l’invasion ; cet honneur ne revient pas à Dietch, qui ne prit le commandement que dans l’été de 1792, mais à Diétrich, qui, du 18 mars 1790 au 22 août 1792, dirigea la défense morale de Strasbourg contre l’armée de Condé et celle de l’Alsace tout entière contre la diplomatie allemande. Elu maire malgré le parti

  1. L’abbé de Calonne avouait à Montlosier, chef déclaré des constitutionnels, qu’à Coblentz, s’il avait été le maître, il l’aurait fait jeter dans le Rhin.