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très nombreux, très attachés à la révolution, formaient une masse d’au moins 12,000 hommes résolus, qui, s’ils n’étaient pas réduits à l’impuissance par la promptitude du coup de main, pouvaient faire échec aux catholiques, plus nombreux, mais moins disciplinés, moins fermes dans leurs opinions et dans la volonté de les faire triompher.

En résumé, il s’agissait de surprendre les républicains, de faire capituler la citadelle, de désarmer les gardes nationales et d’intimider les protestans. Les troupes de ligne pouvaient être facilement enlevées par leurs officiers, du moins on l’espérait, et les catholiques avaient promis de se rallier aux régimens royalistes et de se grouper autour du drapeau blanc. Les chefs de corps, mis en demeure par M. de Vioménil de se décider et de prendre parti, avaient tous donné leur parole d’honneur la plus sacrée de participer à l’entreprise; il ne restait plus qu’à distribuer les rôles et à fixer le jour.

Le plan de M. de Vioménil, combiné d’après une parfaite connaissance, des lieux et des hommes, ne donnait rien au hasard. L’ordre de marche, écrit en face du tracé graphique des rues et remparts, d’une écriture serrée et nette, procède comme le récit d’une victoire acquise plutôt que comme la préparation d’une entreprise où chaque pas se heurte à un danger. Il semble que lorsque le comte rédigea cet ordre, de sa petite chambre de Kehl, il suivait du regard, par la pensée, ses hardis compagnons, et se faisait l’illusion du succès sur le terrain alors que le papier seul devait nous léguer le souvenir de ses inspirations et de ses efforts.

Tel jour, dit-il, à cinq heures du matin, les carabiniers prennent position en face des quartiers occupés par les républicains; les bourgeois, avertis dans la nuit par des émissaires qui se sont glissés de maison en maison et ont donné le mot d’ordre aux affiliés, les soutiennent en seconde ligne. Les régimens douteux occupent les positions secondaires.

Un groupe d’officiers s’assure de la personne de Luckner; les catholiques se chargent du protestant Diétrich. On somme la citadelle et les casernes de se rendre à discrétion, sauf, en cas d’hésitation ou de résistance, à enfoncer les portes à coups de canon et à tout massacrer sans faire de quartier.

Les gardes nationales mettent bas les armes sans coup férir; on les cantonne aussitôt au pont couvert, sous le feu des canons, sauf à examiner ensuite s’il convient ou de les licencier en leur payant trois sous par lieue en assignats, ou de les livrer soit aux Prussiens, soit aux Autrichiens. S’ils résistent, on les mitraille.

Si la citadelle ferme ses portes et qu’on ne puisse ni abattre les