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n’était-elle pas préférable encore à la honte de tenter un coup de main dont le résultat infaillible serait de livrer aux Allemands les portes de l’Alsace?

Sur les feuilles blanches du document capital, analysé plus haut, M. de Vioménil, au lendemain de ses déceptions et ne perdant pas encore toute espérance, résume ses impressions en quelques notes rapides, sévères.


La facilité d’exécution du plan, la parole donnée par les officiers, tout semblait assurer le prompt succès de cette importante opération. Mais ces mêmes officiers qui avaient engagé leur parole d’honneur, non-seulement refusèrent d’agir quand on leur fixa le jour et l’heure, mais tergiversèrent pendant plus d’un mois, remettant d’un jour à l’autre et finirent par convaincre qu’ils n’avaient pas assez de courage pour se déclarer.

Le comte de Vioménil, profondément affligé de rencontrer une faiblesse aussi coupable dans les personnes qui avaient donné de telles assurances de leur dévoûment, s’était procuré des princes l’engagement écrit de conserver à Luckner son grade et de lui assurer toutes les récompenses qu’il pourrait désirer s’il voulait prêter son concours au coup de main qui devait mettre au pouvoir des royalistes la citadelle et la ville de Strasbourg.

Ce général reçut à merveille M. de Thessonnet, aide de camp de M. le prince de Condé, chargé par M. de Vioménil de cette délicate négociation. Il lui avoua qu’il serait heureux de servir la cause royale à laquelle il était profondément attaché, mais qu’il n’était pas assez sûr de la garnison et qu’il redoutait surtout les agens révolutionnaires épiant ses moindres démarches. Il termina cependant en donnant à M. de Thessonnet un rendez-vous pour le surlendemain, lui laissant espérer une réponse affirmative sur les propositions qu’il lui venait de faire.

M. de Thessonnet se rendit chez M. de Luckner à l’heure dite. A peine la conversation était-elle engagée qu’on annonça le prince de Broglie, qui avait connu intimement M. de Thessonnet et savait à quoi s’en tenir sur ses principes. M. de Thessonnet n’eut que le temps de s’enfuir le plus vite qu’il put, en sautant le rempart de la ville pour venir me rejoindre au fort de Kehl.

Ayant encore vu échouer ce moyen, j’imaginai d’en proposer un autre à M. de Counivron, commandant des deux régimens de carabiniers, qui m’avait paru, dans le nombre des chefs de cette garnison, être le plus résolu. Je lui avais fait plus d’honneur qu’il n’en méritait.

Je renvoyai M. de Thessonnet à Strasbourg. Il y passa quatre jours enfermé avec les colonels. Il mit tout en œuvre pour obtenir d’eux qu’ils tinssent la parole donnée ; il désespéra de leur rendre l’énergie