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ou stériles les intérêts les plus sérieux, intérêts de croyances, intérêts de liberté, intérêts de l’enseignement. Il a étourdiment semé les vents et les conflits. Avec ses témérités, il a en fin de compte engagé le gouvernement dans une voie où il vient d’être brusquement arrêté par ce vote du sénat, qui est d’hier, qui change la face des choses en créant une situation toujours délicate et difficile entre les pouvoirs publics engagés dans des sens différens. Voilà pour le moment le résultat le plus clair d’une campagne si bien imaginée.

On ne peut pas dire que c’était absolument imprévu, on ne peut pas dire non plus que c’était prévu. Le fait est que la question s’était tellement compliquée, en chemin, de toute sorte de considérations qu’elle est restée jusqu’au bout assez incertaine. Pendant plus de quinze jours elle a été examinée, étudiée sous toutes ses faces et presque épuisée jusqu’à la satiété. Pendant quinze jours, ce débat s’est déroulé dans le sénat, tantôt un peu traînant et monotone, tantôt relevé par la science et ranimé par l’éclat de la parole. C’est comme un drame parlementaire où ont passé tour à tour, où se sont rencontrés catholiques, libéraux, partisans de la loi : M. Chesnelong, M. Buffet parlant au nom de l’enseignement religieux menacé ; M. Bérenger, M. Jules Simon, M. Dufaure défendant la liberté pour tous ; M. Bertauld, M. le ministre de Tinstruction publique plaidant la cause des projets officiels, mettant leur système restrictif à l’abri de ce qu’ils appellent le droit de l’état. La lutte a été certes sérieuse, elle a naturellement fini par se concentrer autour de ce fameux article 7, qui, à vrai dire, éclipsait tout et dominait tout. C’était là évidemment le point décisif, le point où la question de liberté, imprudemment soulevée par M. Jules Ferry, suscitait les dissidences même parmi les républicains, le point où la majorité pouvait se déplacer. Le sénat se trouvait dans l’alternative de laisser tout faire au nom d’un prétendu principe d’état ou d’accepter la responsabilité d’une initiative aussi prudente que ferme, et, à voir l’effet de l’habile parole de M. Jules Simon démontrant que toutes ces mesures d’exclusion qu’on proposait étaient aussi inapplicables qu’injustes, aussi inefficaces qu’impolitiques, on pouvait déjà pressentir l’issue du combat. Vainement, à la dernière heure, M. le président du conseil est intervenu en modérateur, essayant de sauver une situation compromise. Vainement il s’est efforcé de dissiper les inquiétudes religieuses et les inquiétudes libérales, de rassurer les craintifs, de dépouiller une disposition législative mal venue de ce qu’elle avait de menaçant, de laisser entrevoir les complications qui pourraient naître d’un vote contraire. M. le président du conseil a sûrement réussi à dégager sa loyauté, à inspirer toute confiance dans sa modération, dans ses lumières personnelles ; il a dit tout ce qu’il pouvait dire honorablement pour couvrir un collègue sans trahir sa pensée. Au fond, on sentait bien qu’il subissait une nécessité qu’il n’avait pas