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décisive de sa destinée. Elle avait vécu assez pour que tout se dessinât dans ce drame plein d’émouvantes péripéties. La politique de réaction, un instant contenue par un roi sage et par des ministres modérés, semblait désormais victorieuse : elle l’était certainement, elle l’était par elle-même et par le vaste mouvement de réaction européenne qui lui permettait la guerre d’Espagne, mais c’était une victoire meurtrière conduisant par une terrible logique de M. Decazes à M. de Richelieu, de M. de Richelieu à M. de Villèle, pour finir par conduire de M. de Villèle à M. de Polignac. L’opposition semblait vaincue, elle l’était sans doute dans les élections, dans les chambres, dans les journaux victimes des répressions et de la censure; mais à la place ou à côté de la vieille opposition des premières années, souvent violente et conspiratrice, commençait à se former et à se montrer une opposition bien autrement redoutable, ce que M. Royer-Collard appelait « une nation nouvelle, » cette jeunesse que signalait M. Guizot, qui arrivait par degrés à la vie publique, impatiente de liberté et d’activité.

Déjà, en effet, se manifestait ce mouvement de rénovation qui embrassait la politique et les lettres, la philosophie et les arts. C’était le moment où un livre comme les Considérations sur la révolution de Mme de Staël remuait de vives intelligences, où les imaginations et les esprits, animés d’un souffle imprévu, s’essayaient au rajeunissement de la poésie, de l’histoire, des idées, où la pensée française commençait à s’étendre par l’étude des littératures étrangères. Par lui-même, ce mouvement n’avait sans doute rien d’hostile et de menaçant, il se conciliait avec la monarchie constitutionnelle, il n’excluait pas chez quelques-uns la fidélité royaliste; il pouvait cependant devenir dangereux, il l’était déjà après 1821, parce que dans cet avènement d’une génération impatiente de vivre l’inspiration dominante était toute libérale, parce que cette jeunesse qui arrivait se sentait la fille de la société de 1789, la complice des intérêts et des instincts nouveaux, l’alliée de toutes les revendications généreuses contre une réaction grandissante. Dans cette légion des jeunes de 1820 qui, à peine échappés à la discipline d’airain de l’empire, avaient respiré l’air d’un temps plus libre et plus doux, tous n’avaient pas la même origine, les mêmes traditions, les mêmes préoccupations ou les mêmes tendances.

Les uns, sortis de l’Université, de l’École normale où ils avaient été nourris de l’ardente parole de Victor Cousin, leur frère aîné et déjà leur maître, étaient des hommes d’étude instruits et réfléchis: celui-ci, Augustin Thierry, ayant l’instinct des résurrections historiques; celui-là, Jouffroy, délicat et profond psychologue ; Dubois, âme de polémiste supérieur; Damiron, critique juste et fin. Dispersés d’abord dans les lycées de province, ils s’étaient bientôt