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du mouvement de la restauration. Il différait assurément des jeunes philosophes dont il était l’ami, qui allaient planter leur drapeau et dresser leur tente au Globe. Ceux-ci étaient des esprits réfléchis qui ne craignaient pas d’interroger les plus secrets problèmes de la destinée humaine et du monde nouveau, qui tentaient de dégager la vérité historique de la confusion du passé, la vérité morale de la confusion des systèmes. Sans désavouer le XVIIIe siècle, ils prétendaient relever la philosophie par un spiritualisme indépendant. En restant passionnément fidèles aux principes de la révolution française et de la société moderne, ils voulaient les féconder par un libéralisme supérieur, de même qu’ils admettaient dans la littérature, dans les arts, ce souffle d’inspiration rénovatrice qui s’est appelé le romantisme. Ils restaient en tout des penseurs généreux, des novateurs spéculatifs et doctrinaires.

M. Thiers, lui, n’a jamais été de cette famille d’esprits. Il a été de bonne heure de ceux qui trouvent que « l’univers bien compris n’est point désespérant » et qui restent volontiers dans la réalité, dans l’interprétation simple des choses. Il avait pour philosophie le sens commun ; en fait d’idées générales, le XVIIIe siècle, le siècle de Montesquieu et de Voltaire était visiblement encore sa tradition préférée. C’était la tradition de la raison lumineuse. Dans les écoles nouvelles, il n’aimait ni les théories qui transfiguraient l’histoire, la philosophie ou la politique, ni ce qu’il appelait le genre « impressif, » l’abus de l’analyse, de la rêverie solitaire. Pour lui, génie tout en dehors, il était né avec l’instinct de l’action, il aimait l’action pour elle-même, sous toutes les formes, dans toutes les conditions, en homme fait pour la comprendre, pour en ressentir les émotions généreuses. Il le disait à son début, dans son Éloge de Vauvenargues, comme s’il se donnait à lui-même un mot d’ordre : « La vie est une action, et, quel qu’en soit le prix, l’exercice de notre énergie suffit pour nous satisfaire parce qu’il est l’accomplissement des lois de notre être. » Il le répétait quelques années plus tard d’un accent plein de feu dans des pages sur les Mémoires du maréchal Gouvion Saint-Cyr, où il se plaisait à représenter l’homme de guerre en campagne, obligé de songer à tout au milieu des circonstances les plus extraordinaires et de périls de tous les instans: « Penser fortement, clairement au fond de son cabinet, est beau, disait-il ; mais penser aussi fortement, aussi clairement au milieu des boulets est l’exercice le plus complet des facultés humaines. «  Et il ajoutait résumant sa pensée : « L’homme est né pour agir. Qu’il soit ou ne soit pas destiné au bonheur, il est certain que jamais la vie ne lui est plus supportable que lorsqu’il agit fortement. Alors il oublie, il est entraîné et cesse de se servir de son esprit pour douter, blasphémer, se corrompre et mal faire. » L’idéal