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dans une situation si nouvelle. C’est l’origine du National, né des circonstances et pour la circonstance, avec le concours de M. Thiers, de M. Mignet et d’un jeune talent moins connu alors, Armand Carrel. Tandis qu’à ses côtés le Globe, avec M. Dubois, avec M. de Rémusat, accentuait l’opposition des jeunes philosophes du libéralisme, M. Thiers, lui, engageait au National une véritable campagne qui commençait aux premiers jours de 1830 pour se dénouer six mois après au bruit d’une révolution, en pleine victoire.

Ce n’est plus ici l’historien allant chercher dans un passé orageux les titres de la société moderne; ce n’est pas non plus seulement un polémiste harcelant un ministère : c’est un politique à la stratégie savante, se servant d’un journal pour une action déterminée, mettant le siège autour d’un pouvoir suspect, traçant d’heure en heure dans le feu du combat tout un programme de conquêtes libérales. J’ai dit que l’Histoire de la révolution était la campagne d’Italie de M. Thiers; on pourrait bien plutôt caractériser ainsi cette lutte de six mois menée avec autant de précision que d’irrésistible vigueur. Il faut bien se rendre compte de ce que pensait et voulait M. Thiers, puisque c’est ce qu’il a toujours pensé et voulu dans sa longue vie, puisque c’est déjà l’homme d’état tout entier à l’œuvre avec ses vues familières, ses procédés et ses mots retentissans.

Assurément il était de ceux qui voyaient la destinée des Stuarts écrite sur le visage des Bourbons aînés, comme d’autres, en ce moment même, voyaient « les ordonnances écrites sur le visage des ministres du 8 août. » Il croyait la restauration fatalement vouée à des tentatives meurtrières de réaction, il croyait aussi que la nation serait un jour ou l’autre réduite à résister, à se défendre : il acceptait toutes les chances de ce duel. Il n’hésitait devant aucune des extrémités du conflit, et en cela il avait ce qu’on peut appeler le sentiment révolutionnaire; mais il n’était révolutionnaire qu’en cela. Au fond il restait, selon le mot de M. de Talleyrand, « un esprit très monarchique, » très préoccupé de sauvegarder à travers tout les conditions d’un gouvernement régulier. Il avait la prétention de ne chercher son point d’appui que dans la légalité, dans les institutions, dans la charte, dans les libertés qu’elle consacrait. L’habileté profonde et redoutable de sa tactique était justement d’enlacer la faction royaliste maîtresse du pouvoir, de l’enfermer dans la loi et de la réduire à l’alternative d’en sortir avec effraction ou d’y périr étouffée. Dès le premier jour, M. Thiers, donnant le ton aux polémiques du National, n’hésitait pas à préciser ainsi la lutte entre ceux qui voulaient la charte, toute la charte, rien que la charte, et ceux qui depuis quinze ans ne cessaient de