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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 38.djvu/515

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pas même, je crois, de cette fête du printemps de 1830, donnée pour le roi de Naples, fête vraiment napolitaine où, selon M. de Salvandy, « on dansait sur un volcan. » Il ne faudrait pas cependant être plus naïf que ne l’était M. Thiers. Il est bien certain qu’avec ses sentimens pour les Bourbons aînés, avec ses opinions, avec cette conviction qu’il n’y avait plus nécessité d’une révolution d’institutions en France, mais qu’il pouvait y avoir un « accident » changeant les personnes royales, — il est bien certain, dis-je, qu’avec ces idées, il n’en était pas à s’interroger sur cette éventualité d’une substitution dynastique. Il ne rappelait pas si souvent la révolution anglaise de 1688 sans pousser dans le secret de son esprit l’analogie jusqu’au bout. Apparemment il mettait bien un nom sous ce portrait qu’il traçait un jour du prince qui conviendrait à la France : « Des vertus simples, modestes, solides, qu’une bonne éducation peut toujours assurer chez l’héritier du trône, qu’un pouvoir limité ne saurait gâter; voilà ce qu’il faut à la France! voilà ce qu’elle souhaite ! » Évidemment il faisait entrer ce nom sous-entendu et cette idée, avec bien d’autres, dans ses calculs. Il avouait parfaitement d’ailleurs qu’il n’avait pas le secret de l’avenir, que cet avenir était dans les mains de ceux qui pouvaient tout apaiser comme ils pouvaient déchaîner l’orage. Pour le moment, il s’efforçait de tenir ferme sur son terrain de monarchie libérale. Il passait son temps, ainsi qu’il l’écrivait gaîment à Ampère, à éclaircir « le gâchis pour les électeurs à cent écus. » Toute cette campagne du National, en un mot, il la conduisait avec une prodigieuse dextérité, redoublant de souplesse audacieuse sous les répressions, toujours prêt à la défense ou à l’attaque, entraînant les uns, retenant les autres, jouant entre tous le rôle d’excitateur et de guide.

Rien ne représente mieux peut-être M. Thiers à ce moment d’activé expansion qu’un portrait singulièrement vivant tracé par Lamartine dans le récit d’une rencontre qu’il avait eue un peu par hasard avec l’historien de la révolution. Les deux hommes n’étaient guère faits pour s’entendre. Ils ne se ressemblaient ni par la naissance, ni par l’éducation, ni par l’esprit, ni par les idées, ni par les affinités sociales et politiques; il n’y avait entre eux d’autre lien que l’attrait mutuel de deux talens également supérieurs dans des sphères différentes. Cet attrait existait. Lamartine ne cachait pas qu’il avait du goût pour M. Thiers « comme on a des préférences dans le camp ennemi ! » M. Thiers, quoique peu porté de son naturel à la rêverie, se faisait un plaisir de saluer dans le National l’apparition des Harmonies. Un ami commun, M. Auguste Bernard, revenu depuis peu des colonies, avait voulu réunir, sans aucune intention politique, uniquement par amitié, le poète attaché aux Bourbons et le jeune polémiste du National. C’était un soir du