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duchesse d’Orléans, depuis la reine Marie-Amélie, profondément émue, refusait de se rendre à ces raisons toutes politiques. La princesse Adélaïde, plus hardie, ne craignait pas de s’engager au nom de son frère et autorisait le jeune plénipotentiaire à porter à Paris des promesses qu’elle était prête à sanctionner de sa présence. « J’irai, lui disait-elle avec une confiance toute virile; on ne se défiera pas d’une femme, et il est naturel qu’une sœur risque sa vie pour son frère. » Ce n’était pas tout cependant : il restait à en finir avec le gouvernement de Charles X, à désarmer les partis qui voulaient pousser la révolution plus loin, à organiser l’avènement d’une royauté nouvelle avec le concours de la chambre qui se réunissait spontanément. Tout pouvait dépendre de la promptitude ou de l’à-propos d’une résolution, et là aussi M. Thiers montrait sa décision: c’est lui qui, avec M. de Rémusat, suggérait l’idée de ménager la transition en nommant d’abord le duc d’Orléans lieutenant-général du royaume. Le reste était une affaire de combinaison. M. Thiers ne faisait pas les événemens, je le sais bien et ne veux rien grossir. Il n’était qu’un des acteurs du grand drame; il ne jouait que son rôle, — il le jouait hardiment en donnant au début le signal de la résistance, en contribuant au dernier moment à donner un roi à la révolution, à dénouer une formidable crise.

Et maintenant qu’on embrasse d’un regard ce chemin parcouru par le plus alerte des nouveaux venus de la vie publique. Il y avait huit ans tout au plus que le jeune fils de la Provence était arrivé à Paris, obscur et inconnu, sans ressources et sans relations, n’ayant pour toute arme et pour toute puissance que l’esprit. En huit années, il avait réussi à briller au premier rang dans la mêlée des opinions, à devenir un des chefs de la génération nouvelle. Il avait raconté à une société renaissante ses propres origines, ses propres traditions en l’intéressant passionnément à la révolution française, et il y avait conquis la popularité. Il avait été pour cette brillante et malheureuse restauration un ennemi d’autant plus redoutable qu’il avait le talent qui entraîne, la cordialité qui séduit. Le jour où la lutte définitive avait paru s’engager entre une réaction à outrance et le libéralisme menacé, entre l’ancien régime et la société nouvelle, il s’était porté aussitôt au point décisif du combat. Il avait mené la campagne avec éclat, il venait d’avoir son rôle dans une révolution habilement dénouée et fixée. Désormais ce n’était plus seulement l’écrivain, l’historien de la révolution, le polémiste, le stratégiste du National : c’était plus que cela ou, si l’on veut, c’était tout cela résumé dans un politique préparé à passer des luttes de l’esprit à l’action, lié d’avance à cette monarchie nouvelle qu’il venait d’aider à naître, qui lui apparaissait comme un couronnement de la révolution française.


CH. DE MAZADE.