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riche amateur du département, qui voulait se créer quelque titre au ruban rouge. Vivement encouragé dans son espoir et de là dans son projet par le maire, qui était son ami, il se dépouilla d’une partie de sa collection et donna par surcroît beaucoup de tableaux achetés tout exprès. Le musée fut inauguré en grande pompe, on prononça des discours à la séance d’inauguration, et on porta des toasts au banquet qui suivit. Quelques mois plus tard, ce fut le maire qui fut décoré. Le musée de Blois a aussi sa légende; mais elle se perd dans la nuit des temps. C’était il y a trente ans, à moins que ce ne fût il y a quarante ans ; — on sait que les conteurs de légendes ne précisent jamais les dates. Un grand personnage, (si ce n’était pas un souverain, il ne s’en fallait pas de beaucoup), faisait alors la cour de très près à une jolie ingénue de la Comédie française. Au cours d’un voyage, il eut le désir de revoir l’ingénue. Il lui écrivit pour lui fixer un rendez-vous au musée de Blois ; en même temps, il faisait télégraphier au maire de Blois la date de sa prochaine visite au musée. Le malheur était qu’il n’y avait pas de musée à Blois. Eperdu, le conseil municipal s’assemble, se consulte, discute. Quant à convaincre d’ignorance le grand personnage en lui écrivant que Blois n’a jamais possédé de musée et à priver ainsi la ville de l’honneur d’une telle visite, on n’y songe pas un instant. Le conseil réfléchit que s’il n’y a pas de musée à Blois, il y a du moins où l’installer: cet admirable château embelli par Louis XII, François Ier et Henri II, que Gaston d’Orléans ne put pas gâter, faute d’assez d’argent. Les conseillers municipaux étaient hommes d’initiative, et le Blaisois est riche en ressources. On avait quarante-huit heures; c’était peu, ce fut assez. On frappa à toutes les portes, dans la ville et aux environs. Chacun donna ou prêta qui un tableau, qui une tapisserie, qui une statuette, qui une arme. (C’est ainsi qu’on eut le portrait authentique de Ronsard, qui est une des curiosités du musée.) Les conseillers municipaux allèrent jusqu’à décrocher leurs portraits de famille. L’auguste visite eut lieu, la galante entrevue aussi. Et voilà comment, raconte la légende, fut fondé le musée de Blois, qui est devenu un des beaux musées de France.


II.

Aujourd’hui presque toutes les villes importantes ont un musée. Il y a cependant des exceptions et des anomalies. Des préfectures comme Foix, comme Mont-de-Marsan, comme Privas n’ont pas de musée, et des chefs-lieux de canton comme Sault, comme Bagnols-sur-Cèze ont leur musée. Évreux, qui est une grande ville, ne compte dans son musée que vingt-deux toiles, tandis que le musée