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la vitalité des parens ; en sorte que l’on peut énoncer cette loi biologique : les intérêts de l’espèce sont en raison inverse de ceux de l’individu.

Mais plus on s’élève dans l’échelle des êtres, plus cet antagonisme tend à diminuer. Dans le règne humain, il est moindre que dans le règne animal ; moindre à l’état civilisé que chez les sociétés primitives. De là une mesure certaine du progrès dans les relations domestiques : elles sont d’autant plus parfaites qu’elles assurent la conservation de l’espèce en réduisant à la plus petite quantité possible le sacrifice des individus, enfans ou parens. « Chez les tribus sauvages, on trouve habituellement une grande mortalité pour les premières années de la vie ; d’ordinaire, l’infanticide est plus ou moins pratiqué, ou bien les morts prématurées sont nombreuses par suite des conditions défavorables, ou bien ces deux causes de destruction agissent à la fois. De plus, ces races inférieures sont caractérisées par une maturité et une reproduction précoces, ce qui implique une brièveté excessive de cette première période durant laquelle la vie individuelle se développe pour elle-même. Tant que dure l’époque de la fertilité, la mortalité, spécialement chez les femmes qui sont en outre épuisées par les plus durs travaux, est considérable. Les relations conjugales et paternelles ne sont pas des sources de plaisirs aussi grands et aussi prolongés que chez les races civilisées… Après que les enfans ont été élevés, ce qui reste à vivre aux individus de l’un et l’autre sexe est court ; souvent c’est la violence qui y met un terme, souvent c’est un renoncement volontaire ; autrement, c’est une décrépitude rapide que la piété filiale ne vient pas retarder. »

En possession de ce critérium de progrès, M. Spencer n’a pas de peine à établir que les différens types domestiques, dont l’observation constate l’existence, sont de valeur fort inégale. De la promiscuité à la polyandrie, de la polyandrie à la polygamie et de celle-ci à la monogamie, il y a gradation ascendante. Cette dernière forme de la famille est celle qui sauvegarde le mieux les intérêts de la société, des enfans et des parens, pourvu que l’on considère un état social au-dessus de la barbarie ; car, jusque-là, M. Spencer incline à croire que la polygamie est, somme toute, plus avantageuse. Mais aussitôt que des guerres incessantes et sans merci ne moissonnent plus en grand nombre les hommes adultes, l’équilibre s’établit à peu près dans la proportion des deux sexes : dès lors il est clair qu’il naîtra probablement plus d’enfans si chaque homme a une femme que si quelques-uns ont plusieurs femmes, tandis que d’autres n’en ont pas. Les relations plus étroites qu’ont entre eux les membres de la famille monogamique contribuent